La magistrature à la tête tranchée

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Pendant 167 ans, on n'a pas cru utile de préciser, dans la Constitution belge, qu'un juge était indépendant. Cela allait de soi. Alors quand, aujourd'hui, le pouvoir politique entend préciser, à l'article 151 de la Constitution, qu'un juge est indépendant, il y a fort à parier que c'est pour mieux camoufler que, dorénavant, il ne le sera plus.

 

L'article 151 précisait le mode de nomination des juges, et de leurs chefs de corps. Les politiciens le modifient: fort bien. Dorénavant, les juges seront nommés à l'intervention d'un Conseil Supérieur de la Justice, composé pour moitié de magistrats et pour moitié, de créatures nommées par le Sénat, à la majorité des deux-tiers. Entendez: le gâteau sera partagé désormais, non plus en deux familles politiques traditionnelles, mais en trois. Car il en faut au moins trois pour une majorité des deux tiers: comme cela, tout le monde est content. Vous n'êtes ni socialiste, ni social-chrétien, ni libéral? Quel dommage, abandonnez toute idée de devenir magistrat!

 

Mais il y a pire. L'article 152 de la Constitution précisait que les juges, en ce compris les chefs de corps, étaient nommés à vie, irrévocables et inamovibles. C'est fini tout cela! Pourtant, l'article 152 n'était pas soumis à révision! Et il y a pire encore: les chefs de corps déjà nommés à vie, hé bien, ne le seront plus. Ils seront "renommés" une fois, pour une période de 7 ans. Après, on renouvelle le stock, en quelque sorte.

 

Le professeur Marc Preumont a dit à la radio, un peu interloqué, qu'il ne voyait pas très bien en quoi la présente réforme, allait résoudre les problèmes du pouvoir judiciaire. Ce professeur n'a rien compris: la réforme doit résoudre non pas les problèmes du pouvoir judiciaire, mais les problèmes du pouvoir politique.

 

Et quel est le problème du pouvoir politique? Hé bien, après des années et des années de politisation sauvage, il reste malgré tout dans la magistrature, outre des chefs de corps politisés jusqu'aux dents, des chefs de corps intègres, non corrompus, irréductibles, qui incarnent la dignité et l'indépendance de la magistrature. Ce sont ces chefs de corps-là que les politiques entendent liquider aujourd'hui. Le pouvoir politique tranche la tête même de la magistrature.

 

Pourquoi? Bientôt, ce seront les cours d'appel qui jugeront les ministres, pour faits de moeurs, ou de corruption. Il vaudra mieux alors, avoir des chefs de corps à l'échine souple, inquiets de leur avenir. Sinon, ils jugeraient les politiques, en toute sérénité, en toute impartialité, comme aujourd'hui, dans les affaires Dassault et Agusta. Plus jamais cela!

 

Pourquoi? Parce qu'un chef de corps corrompu peut empêcher tout parti d'opposition, de participer aux élections. Ainsi, en 1995, un chef de corps corrompu jusqu'à l'os a jeté notre liste électorale au panier, nous empêchant tout simplement de nous présenter même à l'électeur. Voilà à quoi sert un chef de corps corrompu, aux politiques.

 

La réforme actuelle de la magistrature ne sert pas, et de loin, à préserver l'inamovibilité des magistrats. Elle sert à préserver l'inamovibilité des politiciens en place. D'une caste corrompue, d'une caste de traîtres à la Patrie. On peut pardonner la corruption: la chair est faible. Mais la trahison des siens, la trahison du peuple belge, de la Belgique: jamais. Or, les politiciens traditionnels sont des traîtres à leur Patrie, car plus aucun d'eux ne respecte, la volonté du peuple belge.

 

 

MB Député fédéral,

Ancien Conseiller à la Cour du Travail,

Président du Front Nouveau de Belgique

  (Bastion n°28 -Novembre 1998)

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