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Les étranges manières des hommes politiques belges

 

Extrait du Journal LE MONDE

LE MONDE | 25.11.02 | 12h40

Le gouvernement belge, premier ministre en tête, n'apprécie guère la critique et fait pression sur les journalistes pour qu'ils restent dans la ligne, raconte le quotidien de Rotterdam "NRC".

"C'est fini, ces conneries ?" Voilà, selon Caroline de Gruyter, l'une des phrases favorites du premier ministre belge se livrant à une de ses activités de prédilection : appeler les journalistes de son pays pour les réprimander lorsqu'ils critiquent la politique du gouvernement.

La correspondante à Bruxelles du NRC Handelsblad, un des titres de qualité de la presse des Pays-Bas, a analysé sur une page entière "la relation difficile" des hommes politiques avec les médias belges. Elle en ressort visiblement catastrophée, voire ahurie : "Verhofstadt appelle régulièrement les journalistes. S'ils ne font pas ce qu'il veut, ils sont menacés d'exclusion. Sous ce gouvernement, la pression destinée à les rendre accommodants est énorme", écrit la journaliste, visiblement peu habituée à des pratiques de ce genre.

Lorsqu'il était dans l'opposition, pendant douze longues années, Guy Verhofstadt, le chef du Parti libéral flamand (VLD), défendait l'idée d'une "culture du débat" et d'une "nouvelle Belgique" qui se déferait de quelques-unes de ses tares, dont la corruption, les nominations purement politiques et un consensus étouffant. Après trois ans à la tête du gouvernement, le chef de la coalition arc-en-ciel – qui réunit libéraux, écologistes et socialistes – a visiblement changé d'avis, relève le quotidien de Rotterdam. Prenant régulièrement le prétexte de vouloir "se défendre", il téléphone directement à tous ceux qui osent se démarquer d'un discours officiel préparé par des "spin doctors" (conseillers médiatiques). "Il m'appelle dans ma salle de bains, aux toilettes, quand je suis en train de me faire cuire une sole", raconte Luc van der Kelen. "Un samedi à 23 h 30, il tentait encore de me dire ce que je devais écrire ou non", ajoute l'éditorialiste du Laatste Nieuws, le plus gros tirage de la presse belge.

Caroline de Gruyter raconte que le premier ministre a été jusqu'à appeler Romano Prodi pour protester contre une opinion hostile à son parti signée par un fonctionnaire néerlandais de la Commission européenne et publiée dans un quotidien flamand. Le présentateur d'un talk-show politique a, lui aussi, été menacé : on lui promettait que plus un homme politique ne viendrait sur son plateau s'il refusait de renoncer à ses questions agressives. Il s'est résigné : "Je dois payer mes factures à la fin du mois", explique sans ambages, et sans réclamer l'anonymat, Jurgen Verstrepen. L'attitude des journalistes est l'autre motif d'étonnement de Caroline de Gruyter, à qui le porte-parole de M. Verhofstadt explique d'ailleurs : "A vrai dire, tous les politiciens agissent comme cela ici. La presse et le monde politique sont très proches. Le premier ministre a une relation ouverte avec les journalistes. Tout le monde s'appelle constamment. Cela a des avantages et des inconvénients."

"COPAIN-COPAIN"

Cette proximité, c'est bien le problème, relève notre consœur du NRC. "Beaucoup de journalistes et de politiciens marchent ensemble pendant des décennies. Ils connaissent leurs épouses respectives, s'invitent aux mêmes mariages. Quand un politicien prononce un discours, il n'est pas rare que des journalistes applaudissent avec le public." Impitoyable, l'enquête résume le dilemme : participer à ce drôle de système d'échange ou s'exclure du cercle, voire du métier. Beaucoup de journalistes franchissent d'ailleurs le pas, choisissant de s'engager directement dans des partis politiques : trois d'entre eux viennent de quitter le Standaard pour rejoindre le VLD. Ceux-là au moins n'auront plus à accepter une autre règle obligée, l'autocensure.

"Du côté francophone, les liens personnels sont encore plus intenses que du côté flamand (...). Les ministres parlent librement, car ils savent que, de toute façon, rien ne sera publié." "Nous sommes plus portés au compromis, cela doit être culturel", analyse un chroniqueur francophone. Si elles sont plus rares, les interventions des ministres francophones n'en sont pas moins violentes : Louis Michel, le ministre des affaires étrangères, aurait téléphoné à un journaliste du Soir pour lui dire que, heureusement, il était à l'étranger, sinon, il lui aurait fait "je ne sais pas quoi"...

Pour conclure ce reportage aux allures de pamphlet, la journaliste néerlandaise a recours à un terme français qu'elle trouve "tellement beau" : "copain-copain". Elle ne voit rien de mieux pour définir ce qu'elle a découvert.

Jean-Pierre Stroobants

www.nrc.nl

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU MONDE DU 26.11.02

 

(Bastion n°67 de Janvier 2003)

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