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Les frontières de l’Europe
et l’adhésion potentielle de la Turquie à l’UE

Entretien avec Robert Steuckers

Q. : Octobre 1999 : la Commission recommande aux Quinze pays de l¹UE de conférer le statut de " pays candidat à l¹UE " à … la Turquie ! En décembre 1999, au sommet d¹Helsinki, les chefs d¹Etat et de gouvernement devraient suivre l’avis de la Commission. Or 3% seulement du territoire de la Turquie se trouvent en Europe. Depuis que les cartes existent, la Turquie est un pays asiatique. Par ailleurs, les Traités prévoient que les pays adhérents aient leur territoire en Europe. Qu¹est-ce qui explique une décision aussi aberrante ?

RS : La Turquie et l’Europe, leurs relations et leurs conflits, constituent une problématique très complexe à l’heure actuelle où tous oublient les leçons de l’histoire. Parlons d’abord du territoire sur lequel s’étend l’actuelle République turque. Pour moi, c’est un territoire européen occupé de longue date par une machine étatico-politique, une instance, extra-européenne, créée au départ par une élite guerrière turque venue d’Asie centrale, berceau des ethnies turques/touraniennes. L’Asie Mineure de l’Antiquité a été successivement - et parfois tout à la fois - un territoire hittite (donc européen), grec-ionien, thrace, celte-galate, arménien et mède-kurde. Tous ces peuples appartiennent à la famille des peuples européens. Après la chute de l’Empire romain, ce territoire devient byzantin, donc essentiellement hellénique. Les croisades tentent de ramener cette Asie Mineure dans le giron européen, mais c’est l’échec, à cause des divisions entre Européens (déjà !). En 1389, les Serbes sont écrasés dans les Balkans, en 1453, Constantinople tombe et c’est la fin de l’Europe et de l’Asie Mineure helléniques et hellénisées. L’Empire ottoman, bien organisé, formidable puissance militaire, a été une menace pour l’Europe pendant 500 ans, jusqu’au 19ième siècle où il est devenu cet "homme malade de l’Europe" dont parlait Bismarck. A partir de 1919, Mustafa Kemal Atatürk a tenté de faire de la Turquie un Etat européen, dont les racines ne se référaient plus ni à l’Islam ni à la Grèce byzantine ou antique, mais à un peuple européen plus ancien et fascinant, les Hittites (voir le splendide " Musée Hittite " qu’il a fondé à Ankara). Cependant, malgré cette référence savante à un peuple fascinant mais disparu, le kémalisme poursuivra la dés-arménisation sanglante, entamée pendant la première guerre mondiale, commettra un génocide abominable contre les populations grecques d’Ionie (notamment à Smyrne/Izmir) et, in fine, après la seconde guerre mondiale, contre les Kurdes d’origine mède et contre notre frères grecs de Chypre (1974). En dépit de la référence constante à l’Europe et à l’Occident, la Turquie moderne a procédé à une dés-européanisation forcenée et systématique du pays. Dans la foulée, les Sémites araméens, qui vivent le long de la frontière syrienne et sont de confession chrétienne-orthodoxe, sont persécutés et ont fourni des contingents de réfugiés politiques en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède. Ma position est donc la suivante : le territoire de l’actuelle Turquie est un territoire qui a été conquis sur l’Europe hellénique, arménienne et mède, et cette conquête a induit une dés-européanisation mentale, politique et effective de cette Asie Mineure, en dépit de la faiblesse numérique des turcophones au départ. Ironie de l’histoire : la majorité des Turcs actuels ont une origine européenne mais la nient férocement et persécutent ceux qui la revendiquent. Dans de telles conditions, il me semble que la Turquie se met elle-même en marge de l’Europe. Autre facteur important: sur le plan linguistique, la turcisation des habitants de l’Asie Mineure les détache de la grande famille des peuples européens et les entraîne vers une solidarité avec les autres turcophones d’Asie centrale, que nous observons aujourd’hui. C’est l’emprise étouffante de la pensée totalitaire dominante d’aujourd’hui qui induit la Commission à prendre la décision aberrante d’accepter la candidature turque: pour cette pensée totalitaire, l’homme n’est pas perçu comme le porteur d’une culture, d’une tradition, comme le réceptacle d’un héritage bien profilé, d’une poésie et d’une littérature particulières, mais comme un numéro, un être sans histoire et sans épaisseur culturelle : qu’il soit turc, bouddhiste, musulman, européen, auvergnat, samoyède, protestant ou gagaouze importe peu, ce sont là autant d’oripeaux du passé dont il doit se débarrasser pour devenir un consommateur de fast-food, de tourisme de masse, de supermarchés. Alors, vous pensez, l’arrivée de 70 millions de Turcs et de Kurdes, avec, derrière eux, 100 autres millions de turcophones d’Asie centrale, quelle aubaine pour les propriétaires de chaînes de supermarchés et de fast-foods, pour les organisateurs de clubs de vacanciers cucu-la-praline ! Et tant pis pour l’histoire, pour la culture, pour la poésie, pour la musique… Et tant pis pour l’homme réel, pour l’homme enraciné, pour l’homme dépositaire et légataire d’héritages pluri-séculaires ou pluri-millénaires !

Q. : L’un des principes des Traités Européens est la libre circulation des personnes. La Turquie a une population musulmane de 64 millions d¹habitants, en pleine expansion. Cette population est pauvre: le PIB par habitant y est de 6.350 dollars, alors qu’il est de 21.110 dollars par habitant en Belgique, par exemple. L’économie y est instable : on prévoit pour 1999, un taux de 64% d’inflation. La Turquie a donc vocation à l’émigration, et pour longtemps. De plus, Istanbul est la plaque tournante de l’émigration en provenance d’Asie vers l’Europe. Des milliers de Pakistanais, d’Iraniens, d’Afghans gagnent l’Europe par Istanbul puis via la Grèce. Faut-il prévoir une immigration massive de Turcs et d¹autres Asiatiques vers l’Europe ?

RS : Le plus inquiétant, c’est qu’au nom d¹une idéologie pantouranienne (union de tous les peuples turcs), la Turquie a tendance à accorder la nationalité turque à tous les ressortissants de peuples turcophones de l’ex-URSS, voire de la Chine ou de l’Iran (où vit une minorité azérie, donc turcophone, dans le Nord). Munis d’un passeport turc, en cas d’adhésion effective de la République turque à l’UE, ces turcophones pourraient sans heurt circuler dans tous les pays d’Europe. Avec une démographie galopante, ces 170 millions de turcophones pourraient rapidement évincer la population européenne de souche, qui est en déclin démographique. A moyen terme, les Européens risquent d’être minorisés en Europe même.

 

Q. : La Turquie joue, dans l’esprit des Américains, un rôle clef dans le transport vers l’Occident du pétrole et du gaz de la Mer Caspienne. Ils interviennent à la source, en bordure de la Mer Caspienne, en soutenant les rébellions islamistes contre la Russie, au Daguestan et en Tchetchénie. Et ils interviennent sur le trajet des futurs oléoducs (par exemple Bakou-Ceyhan), en imposant la Turquie à l’Europe. Comment Washington impose-t-elle concrètement ses vues aux gouvernements européens ? L’Europe ne pourrait-elle pas miser sur des accords avec la Russie, qui pourrait assurer le transport de gaz et de pétrole sur son territoire, puis via les Balkans ?

RS : Les puissances anglo-saxonnes ont toujours tenté de contrôler in extenso le commerce du pétrole, en passant sous silence tous les caprices, toutes les violences et toutes les entorses aux droits de l’homme et de la femme commis par les Etats détenteurs des gisements pétroliers. On le constate en Arabie saoudite, dans les Emirats, en Turquie. Les Etats-Unis tentent de confisquer aux puissances européennes et à la Russie toute gestion, même partielle, du commerce du pétrole. Les chefs de la rébellion islamique du Daguestan et de Tchétchénie, le Jordanien Khattab et le Tchétchène Bassaïev ne sont pas tombés du ciel. On peut légitimement penser qu’ils ont été débarqués dans cette zone-clef de la géopolitique du pétrole. Ils appartiennent sans doute à cette phalange d’islamistes de service, formés pour servir l’Occident capitaliste et "dépravé" depuis les événements d’Afghanistan, où les moudjahiddins ont tenu tête à l’armée soviétique, armés d’excellents missiles Stinger, …qui ne sont pas davantage tombés du ciel… Après le repli hors d’Afghanistan, l’URSS, incapable d’atteindre les mers chaudes, d’avoir une façade dans l’Océan Indien donc d’avoir des frontières impériales durables et défendables, a commencé à s’étioler, à s’effriter, jusqu’à se réduire à son noyau russe, appauvri et mutilé démographiquement. La tragédie russe est une tragédie européenne. Les souffrances du peuple russe sont une souffrance du corps européen tout entier. Honte à ceux qui ne ressentent ni pitié ni solidarité. Au sommet de l’OSCE, cette semaine, à Istanbul (je devrais dire : Constantinople), Clinton a scellé l’humiliation et la défaite de la Russie (et de l’Europe). Après avoir flatté sans mesure la vanité des Turcs à Ankara quelques jours plus tôt, après avoir proclamé que la Turquie était l’allié principal des States dans le Vieux Monde, Clinton a menacé Eltsine d’intervenir en Tchétchénie: il a poussé la logique d’ingérence plus loin encore que lors de l’affaire du Kosovo. Il a essayé de faire passer le principe qu’une révolte intérieure dans un pays d’Europe n’était pas une affaire interne, mais une affaire qui concernait l’ensemble du "monde libre". Curieuse logique, appliquée au bénéfice des Kosovars et des Tchétchènes, mais non au profit des Kurdes, des Basques, des Catholiques d’Ulster, des Corses (encore que, demain, si Chirac expérimente une nouvelle bombe dans le Pacifique…). Les écrans de télévision ont à nouveau montré des misérables dépenaillés, victimes de la méchante armée russe, comme on en a montré d’autres, victimes des méchants Serbes… Pourquoi ne pas montrer des Russes, victimes du capitalisme sauvage dans les banlieues de Moscou… Les Américains imposent leurs vues géopolitiques par l’habituel misérabilisme médiatique et les Européens gobent, comme ils ont gobé Timisoara, les charniers du Kosovo (qu’on avoue aujourd’hui inexistants), etc.

Au sommet de l’OSCE d’Istanbul (pardon : Constantinople), Eltsine et Ivanov ont dû composer, même si la population tchétchène, rançonnée par les clans islamistes, a ouvert les portes de deux villes importantes à l’armée russe. Ce que CNN a oublié de mentionner. N’oublions pas que Clinton a signé cette semaine, avec Demirel, Président turc, Aliyev (Azerbaïdjan) et Chevarnadze (Géorgie), une alliance dans le Caucase et la Mer Noire qui constitue un solide verrou anti-russe et anti-européen et dont les chaînons occidentaux seront la Bulgarie (visitée aussi par Clinton ces derniers jours), la Macédoine occupée par l’OTAN, l’Albanie, le Kosovo et la Bosnie. Sans compter la République turque de Chypre et un Monténégro qu’on détachera bien vite de la Serbie, qui sera ainsi privée de fenêtre sur l’Adriatique. De plus, ce traité américano-turco-géorgio-azéri scelle la future construction de l’oléoduc Bakou-Ceyhan. Victime de ce pacte : l’Arménie, enclavée dans son réduit caucasien, encerclée par deux puissances musulmanes ennemies (Turquie, Azerbaïdjan) et par une Géorgie orthodoxe qui a honteusement lâché ses frères russes et serbes. Clinton s’est avéré un grand stratège, il a admirablement joué ses bonnes cartes géostratégiques - il faut l’avouer - mais, en même temps, il a clairement montré qu’il est un ennemi implacable de l’Europe et de la Russie: nos enfants en paieront les lourdes conséquences, parce que nous n’avons pas eu de chefs d’Etat à la hauteur. Honte sur les Chirac et autre Schröder qui ont trahi l’histoire européenne.

Ensuite, remarque corollaire, les gouvernants européens sont encore et toujours prisonniers de la logique de l’OTAN, qui n’est plus de mise depuis la perestroïka et la chute du Mur de Berlin. En dix ans, les gouvernants de l’Europe, les intellectuels décadents de Paris et d’ailleurs n’ont pas été capables de forger une géopolitique alternative, d’abandonner la logique atlantiste pour adopter une logique grande-continentale, en forgeant un véritable partenariat stratégique avec la Russie. Dans une telle logique, l’Asie Mineure avait aussi un rôle à jouer: celui de tremplin de la puissance euro-russe, avec une Turquie satellisée et mise au pas, et non celui d’un verrou américain au cœur de la masse continentale eurasienne, qui étranglera très rapidement notre économie et assombrira cruellement l’avenir de nos enfants.

Pire: l’Europe avait un projet d’oléoduc, en étroite coopération avec la Russie. Ce projet s’appelait " Blue Stream " et comptait organiser en synergie les oléoducs russes, les voies fluviales de la Volga, du Don, du Dniestr et du Danube. L’ENI, instance italienne des pétroles, y participait et y avait investi de colossales sommes d’argent. Aujourd¹hui, on doit amèrement constater que ces efforts ont été en pure perte, parce que les politiciens clownesques et corrompus ont opté pour le suivisme atlantiste, dénoncé depuis belle lurette par l’école diplomatico-stratégique belge, créée jadis par Pierre Harmel, qui n’a guère eu de disciples. La partitocratie a préféré hisser un Willy Claes au sommet de l¹OTAN. Le type de politicien choyé par Washington…

Q. : La Turquie a une configuration politique très particulière. Le premier acteur politique en Turquie est l’armée, pro-occidentale. Mais la première force politique du pays est l’islamisme anti-occidental. L’Armée turque, forte de 639.000 hommes, est la seconde armée de l’OTAN et sera donc la première armée "européenne" si la Turquie pénètre dans l’UE. Or les pays de l’UE démantèlent leurs propres armées. A quoi songent nos dirigeants ? Historiquement, la Turquie a été l’ennemie de l’Europe : elle a occupé les Balkans et menacé les portes de Vienne. Comment expliquer cette curieuse cécité, ce manque de mémoire, cette "négation de l¹ennemi" de nos dirigeants ?

RS : Votre question est à strates multiples. Y répondre exigerait tout un livre. Essayons de la segmenter :
L’armée est effectivement l’épine dorsale de l’Etat kémaliste turc depuis quelques décennies. Elle dévore un budget impressionnant qui fragilise toute l’économie du pays. Lors du séisme d’août 99, on a vu cette belle armée à l’œuvre: entraînée pour fondre sur ses voisins (encore qu’en 1974, les milices grecques de Chypre, armées de quelques pauvres fusils, lui ont donné du fil à retordre !), elle est incapable de faire face à une situation de détresse naturelle et civile. Dévoreuse de budgets, elle interdit au pays de se doter de matériels de première nécessité dans un pays exposé aux tremblements de terre. Cette armée n’a qu’un projet : conserver l’alliance américaine, être le bras armé de la thalassocratie américaine contre les Russes, les Européens et les Arabes (car la Syrie et l’Irak sont également dans le collimateur). Ajoutons que cette armée a un droit de regard et de veto sur tous les budgets votés au parlement d’Ankara. Elle soumet d’abord son propre budget aux parlementaires et aucun d’eux ne peut le contester, sous peine d’être accusé de trahison. Telle est la pratique " démocratique " dans ce pays candidat à l’adhésion… Mais, chut, Bill Clinton et CNN n’ont rien vu, rien entendu…

Quant aux forces politiques islamiques, notamment celles qui sont regroupées autour d¹Erbakan, je les considèrerais plutôt comme des interlocuteurs valables de l’Europe, non pas en vue d¹une adhésion, mais sur le plan stratégique au Proche-Orient. Les islamiques d’Erbakan ne sont pas les islamistes financés par l’Arabie Saoudite et armés par les Etats-Unis, comme les moudjahiddins afghans, les talibans ou les guerilleros de Khattab et Bassaïev au Daguestan et en Tchétchénie. Erbakan proposait une géopolitique alternative et refusait de couper la Turquie de son environnement arabe. La géopolitique des militaires vise une expansion de la puissance démographique turque vers le Nord et l’Ouest, contre l’Europe dans les Balkans, contre la Russie dans le Caucase et la Mer Noire, contre la majorité grecque à Chypre. La géopolitique d’Erbakan vise une solidarité turco-arabe et un infléchissement des relations d’Ankara vers le Sud, comme au temps de l’alliance germano-turque de 1908 à 1918. Pour Erbakan, la Turquie ne doit pas chercher l’adhésion à l’UE, mais coopérer avec la Syrie, l’Irak, le Liban, la Palestine, l’Egypte et la Libye, contribuer à l’éclosion d’une sphère de co-prospérité proche-orientale. De plus, Erbakan avait tenté d’apaiser la guerre contre les Kurdes. Dans le camp nationaliste en Europe, nul mieux que Franz Schönhuber, ancien leader des Républicains allemands, a analysé la situation turque de ce point de vue. Il a notamment souligné que les militants du mouvement d’Erbakan tentaient de palier les lacunes de l’infrastructure civile du pays, en organisant des réseaux caritatifs, très mal vus des militaires. Rappelons que Schönhuber parle la langue turque, a rédigé des ouvrages de référence sur la Turquie et est une autorité intellectuelle et politique reconnue, davantage dans l’élite turque que dans son propre pays.

Dernière remarque concernant l’armée turque : elle est effectivement la plus nombreuse d¹Europe (après la Suisse!). Ce qui me permet de rappeler ici que l¹Angleterre, jadis, les Etats-Unis, aujourd’hui, privilégient toujours l’allié continental qui a le plus de "chair à canon" à offrir. Tout naturellement, pour cette raison comptable, la Turquie joue le rôle de "principal allié" actuellement.

Vous avez raison, l’Empire ottoman a été le pire ennemi de l’Europe au cours de l’histoire. Les historiens français Fernand Braudel et Michel Mollat du Jourdin ont expliqué comment l’Europe a été strangulée par la conquête ottomane de la Mer Noire, du Caucase, des Balkans et de l’Egypte. Au faîte de la puissance ottomane, l’Europe était littéralement coincée dans son réduit péninsulaire. L’aventure sur les mers, la conquête des océans ont été la réponse des Portugais, des Espagnols, des Hollandais et des Anglais au verrouillage ottoman. Il fallait contourner la masse territoriale islamisée pour retrouver les voies commerciales vitales vers l’Inde et la Chine. Pour les Allemands, les Polonais et les Russes, il fallait desserrer l’étau sur le Danube et en Mer Noire : c’est dans ce cadre que s’inscrit toute l’histoire de la frontière militaire austro-hongroise dans les Balkans et la longue conquête russe de la Sibérie et des rives de la Mer Noire, achevée par Catherine la Grande. Les Pays-Bas autrichiens, notre pays, ont participé à cette aventure balkanique en y envoyant des soldats et en faisant face à l’allié des Ottomans, la France de Louis XIV.

Les diplomaties européennes ont oublié la leçon du Pape Pie II (avant son pontificat, il était l’humaniste de la Renaissance, Æneas Silvius Piccolomini et le secrétaire de l’Empereur Frédéric III). Pie II, dans son manifeste De Europa, avait appelé les Européens à s’unir contre la menace ottomane, à libérer les Balkans et Constantinople. Les ordres de chevalerie, comme l’Ordre de la Toison d’Or, l’Ordre de Malte et l’Ordre de Saint-Jean avaient pour tâche de libérer l’Europe. L’Ordre de Malte a organisé une marine redoutablement efficace qui a contesté pendant longtemps aux Ottomans la maîtrise de la Méditerranée et contribué au désétranglement de l’Europe (cf. André Plaisse, Le Rouge de Malte, éd. Ouest-France, 1991). Au 19ième siècle, le diplomate danois Schmidt-Phiseldeck au service de la Prusse rédige un mémorandum à l’adresse des chancelleries européennes pour les exhorter à bouter les Ottomans hors des Balkans, à libérer toute la Grèce et à occuper les îles stratégiques du bassin de la Méditerranée orientale (Crète, Rhodes, Chypre). Il ne sera pas écouté. Aujourd’hui, les représentants de ces ordres de chevalerie ont sombré dans le folklore et ne retiennent pas l’éternelle leçon de géopolitique qui court de Pie II aux Chevaliers et aux Corsaires de Malte et de ceux-ci à Schmidt-Phiseldeck. Devant le verrou que vient de réaliser avec maestro le Président Bill Clinton, l’Europe doit renouer avec l’esprit de ces ordres et recomposer la Sainte-Alliance du Prince Eugène, regroupant le Saint-Empire germanique, l’Autriche-Hongrie, la Pologne-Lithuanie, la Russie (aujourd’hui toutes les puissances qui en sont les héritières). C’est une question de vie ou de mort. Une longue guerre d¹usure va commencer. Soyons prêts.

 

robert.steuckers@skynet.be - Cercleuropa@wanadoo.fr - sineur@tin.it

(Bastion n°38 de Décembre 1999)

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