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Le billet d'humeur de Charles Magne,

Le cauchemar de Cendrillon

Par la plus grande des facéties du destin je me suis retrouvé pendant presque vingt-quatre heures dans les coulisses du festival de Cannes. Témoin malgré moi de ce haut-monde fait de vanités et d'illusions, j'ai pu partager la vie de ces vedettes et de ces milliardaires que l'on donne en adoration aux foules télévisuelles. Ce voyage dans l'au-delà du spectacle aurait pu s'appeler le songe de Cendrillon. Le malheur voulut que je gardasse les yeux ouverts dans le rêve de la nuit cannoise. Ce que j'y vis fut fort déplaisant mais ô combien riche d'enseignements… Il y avait bien longtemps que je n'étais allé sur La Croisette, presque vingt-ans déjà. J'étais à l'époque modeste étudiant, si peu fortuné que je n'avais même pas les moyens de m'offrir un café à l'une des terrasses de ces prestigieux établissements qui font la renommée de la ville. Un de mes amis, potache d'une faculté de cinéma, m'y emmena pour que je découvre ce petit univers qui pendant dix jours attire les célébrités de la terre entière. A cette époque, les badauds étaient peu nombreux et La Croisette seulement parcourue par quelques curieux discrets qui rêvaient de l'apparition furtive de l'objet de leur dévotion. Dans cette ville encore policée , les acteurs et les actrices se promenaient l'air débonnaire au milieu de leurs admirateurs et leur accordaient complaisamment un autographe lorsqu'ils étaient sollicités. En cet âge reculé de la civilisation européenne (1983), l'exubérance se limitait à l'exposition de la gorge nue d'une starlette qui faisait les délices des paparazzis. J'avais conservé de la découverte du festival un souvenir mitigé, déjà teinté d'une légère impression de décadence. Quel ne fut pas le choc de revenir en ces lieux dix-sept ans plus tard ! Pour emprunter un titre de film américain, je connus un véritable Retour vers le futur. Malgré une accréditation officielle, j'eus bien du mal cette fois-ci à rejoindre La Croisette tellement la foule était compacte. Immédiatement je fus impressionné par le comportement de cette masse de plusieurs milliers d'individus. Selon l'expression officielle, elle était principalement composée de jeunes venus des banlieues à la recherche de quelque forfait ou de quelque provocation. Cette promiscuité donnait lieu à des insultes et à des altercations, auxquelles les forces de l'ordre assistaient impuissantes. Certaines bandes ethniques déambulaient avec leurs chiens qu'un joli néologisme administratif qualifie de molossoïdes (en clair des pitt-bulls). Manifestement leur intention n'était pas uniquement d'aérer leurs charmants toutous. D'autres organisaient spontanément des démonstrations de rap et de smurf sur un fond musical tapageur et agressif. D'autres encore tentaient de faire se trémousser quelques français de souche au rythme du tam-tam. A la vision de ce spectacle où l'emportait le bruit et la fureur, je compris mieux la déclaration de l'actrice Virginie Ledoyen selon laquelle : " le festival de Cannes est une fête multiculturelle et multiraciale ", moi qui croyait naïvement qu'il était la fête du cinéma. Enfin, après avoir parcouru la nouvelle vitrine de la France, je parvenais au Majestic ou une cinquantaine de gorilles à l'abri d'imposantes barrières anti-émeutes interdisaient l'entrée de " l'hôtel des stars " à ceux qui n'étaient pas munis du précieux laisser-passer. Au concierge qui devait me remettre mes invitations officielles je demandais d'un ton ingénu " Pourquoi tant de mesures de sécurité ? ", celui-ci me répondit d'une façon qui se voulait convenue " Voyez-vous Môssieu, notre clientèle américaine a beaucoup souffert de l'attitude des jeunes il y a deux ans et, comme elle nous menaçait de ne plus revenir au festival nous avons pris les mesures qui s'imposaient. " A partir de cette remarque, mes sens déjà en alerte s'exacerbèrent et je découvris le nouveau Cannes, où l'on voit se mettre en place un apartheid protecteur en faveur des seuls gens riches - ici les innombrables clients américains. En sortant du Majestic je remarquais, en effet, que plusieurs centaines de jeunes ethniques s'étaient agglutinés contre les grilles qui isolaient l'hôtel dans l'espoir d'entrapercevoir l'un des acteurs des films hollywoodiens qui forment leur seul bagage culturel. Cet espoir était d'ailleurs vain, car pour franchir les quelques mètres qui séparaient leur hôtel de luxe du palais du festival, les stars s'engouffraient dans des limousines blindées aux vitres teintées, elles-mêmes accompagnées d'une solide cohorte de gardes du corps. Il est vrai qu'à ces conditions la société multiethnique devient presque supportable. N'ayant pas l'heur de plaire aux foules bigarrées, je me rendis quant à moi à pied vers le film des frères Coen " O Brother, where art thou ? " sans avoir à souffrir de l'embouteillage provoqué par le ridicule ballet des Cadillac, des Mercedes et des Safrane. A l'entrée du palais surnommé à juste titre le bunker - tant par son architecture que par son confinement - je fus confronté à d'autres grilles. A cet endroit il y avait relativement moins de jeunes ethniques et beaucoup plus de personnes âgées de souche qui me demandaient toutes d'un ton suppliant " vous n'auriez pas une invitation en trop ? ". Jamais je n'aurais imaginé que l'on put mendier une place de cinéma… Je n'épiloguerai pas sur la première mondiale du film des frères Coen, odyssée gentillette et subversive de trois bagnards en cavale. En fin de soirée mon programme m'amena dans un autre endroit fameux : l'hôtel Martinez. Là quelques personnalités en vogue essayaient de se tortiller sur de la musique techno " doublée " par un joueur de tam-tam revêtu d'un pagne. Malgré le champagne qui coulait à flots, il planait dans cette soirée un air de tristesse et de morne décadence qui m'obligea à quitter les lieux au bout de quelques instants, ayant il est vrai une autre conception de la musique et de la dignité européenne. Pour achever la nuit, je me rendis à la réception grandiose du film " O Brother, where art thou ? " donnée dans la villa orientale d'un prince saoudien. Là tout n'était que faste et éclats de diamants, smokings et robes-longues, sculptures éphémères de glace et buffets royaux. Pourtant malgré la réputation d'artistes de nombreux invités je n'y vis aucun créateur, aucun porteur de cette lumière intérieure qui fait s'arrêter le regard. Au contraire je fus frappé par la banalité des caractères et leur ressemblance avec cette foule hagarde qui, sur La croisette, pensant contempler des êtres d'exception ignore qu'elle se contemple elle-même. Il fut un temps où des actrices américaines pleine de grâce rêvaient de devenir princesses d'Europe, aujourd'hui c'est au tour des européens de vouloir ressembler aux voyous des séries B américaines. Que de chemin parcouru depuis le rêve de Cendrillon. Ah ! J'allais oublier le clou de la réception : un lâcher de faux-billets de cinquante dollars à l'effigie des acteurs du film. Mais au fond quoi de plus naturel ? Au royaume du néant, tout n'y est-il pas un peu factice ? Quand le billet vert aura fini d'évincer l'Euro et les foules ethniques les populations de souche, je pourrais moi aussi réaliser un film. En souvenir de cette nuit où je vis tant d'hommes et de femmes se transformer en courges je l'appellerai :

O MON FRERE OU ES TU ?

(Bastion n°44 de juin  2000)

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