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La gestapo de l’INAMI

 

Un jour, sans crier gare, ont déboulé dans mon cabinet trois inconnus, en ciré, la mine patibulaire. Ils ressemblaient aux agents de la gestapo dans les vieux films de guerre et étaient tout aussi aimables. J’étais en pleine consultation et ma salle d’attente était pleine. Sans ménagement, les trois inconnus, m’ont interrompu dans mon travail et ont exhibé leur carte de validation d’inspecteur de l’INAMI et leur accréditation comme inspecteur de police judiciaire. J’ai à peine pu terminer ma consultation que mon patient a été poussé vers la sortie : priorité au contrôle, affirmaient-ils. L’un deux s’est rendu dans la salle d’attente pour annoncer aux patients qu’il n‘y aurait sans doute plus de consultation pour la journée, car je faisais l’objet d’une enquête judiciaire. Vous imaginez la tête des patients et comment ils ont pu interpréter la chose : je faisais d’ores et déjà figure de fraudeur et de délinquant. Certains n’ont-ils pas pu penser que j’étais un mauvais médecin ou que j’avais tué quelqu’un ?

J’ai finalement reconnu un des inspecteurs : c’était un médecin que j’avais connu à l’université. Un nul. Il avait commencé avant moi, et j’ai terminé mes études alors qu’il essayait toujours de s’en sortir. Je m’en souvenais à peine. Mais lui, visiblement, cela lui était resté sur l’estomac : il avait un compte à régler.

Pendant plusieurs heures, alors que je n’étais pas encore revenu de ma surprise, j’ai été interrogé comme si j’étais présumé coupable. On m’a interrogé sèchement, presque comme si j’étais leur laquais, sur mes prescriptions, sur mes demandes d’examens, sur le pourquoi, sur le comment, on m’a demandé d’exhiber des rapports, de me justifier. Ils me menaçaient déjà : si je ne pouvais pas me justifier, je risquais une suspension, cela ferait du tort à ma patientèle. Je n’aurais plus qu’à changer d’air. J’étais nerveux, je ne m’y retrouvais plus dans mes archives : on me réclamait des justificatifs vieux de plusieurs années et je n’avais pas pu me préparer au contrôle. Chaque fois que je ne trouvais pas immédiatement, les remarques et les menaces fusaient, et je m’énervais encore plus.

Je ne pouvais même pas aller aux toilettes sans être accompagné : des fois que je chercherais à faire disparaître des preuves. J’avais franchement envie de les flinguer. Finalement, j’ai été sauvé par le gong : en bons fonctionnaires, ils avaient fini journée. Ils m’ont dit qu’ils reviendraient. Mais j’étais soulagé. Je croyais en être quitte, provisoirement. Je me trompais. Dès le lendemain, ce sont mes patients qui ont subi ces gestapistes. On me présentait comme accusé, on leur forçait la main, on leur disait que ce n’était pas la peine de me protéger, car cela se retournerait contre eux. Vous imaginez l’ambiance. Le bruit s’est répandu comme une traînée de poudre auprès de mes patients. Les rumeurs allaient bon train. Des dommages irréparables à ma réputation, à ma clientèle. J’ai perdu de nombreux patients. On se méfiait de moi.

Ces enquêteurs s’attardaient à des détails. J’avais examiné un enfant, en urgence, et j’avais demandé le tarif de nuit et de WE. Ils ont interrogé l’enfant, pour situer l’heure. Il regardait la TV. Ils ont été jusqu’à vérifier la grille des programmes, plusieurs mois auparavant, pour déterminer l’heure de l’émission et s’il était justifié de prendre un tarif de nuit et de WE ! J’ai été ennuyé également pour un numéro de nomenclature mal écrit, et qui avait donné lieu à un remboursement inadéquat. On m’a accusé de vouloir partager avec mes patients prétendument complices les bénéfices de prestations fictives ! N’importe quoi !

Après plusieurs mois de harcèlement, j’étais au bord de la dépression. J’étais prêt à tout abandonner et à partir élever des moutons dans le sud de la France.

Puis les contrôles ont cessé. Ils n’ont trouvé que des broutilles. Je m’en suis néanmoins sorti avec une sanction. Une amende pour surprescription et une suspension. J’étais soulagé de voir la fin du calvaire. Je suis parti en vacances : j’en avais bien besoin. Mais depuis, rien ne sera plus jamais comme avant. Je ne souhaite une telle épreuve à personne.

J’ai finalement appris que j’avais fait l’objet d’une dénonciation malveillante : rien à voir avec la qualité de mon travail ou avec la manière dont je m’acquittais de la paperasse…

Dr S.

 

 

 

(Bastion n°62 de juin 2002)

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