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Le grand barde

  Par Alexandre Lignières

Le Bastion a décidé de commémorer, à sa manière, le vingt-cinquième anniversaire de la mort de Jacques Brel, décédé en octobre 1978. C’est en effet une occasion rare de pouvoir s’associer à une manifestation culturelle publique qui ne soit pas marquée par l’esprit de la décadence. Aussi, ne bouderons-nous pas notre plaisir.

Certains de nos lecteurs s’étonneront, peut-être, que nous célébrions ici un artiste toléré par le système. Brel n’était-il pas, en effet, un doux rêveur et un  pacifiste ? Certes nous n’ignorons pas que l’artiste a, quelquefois, raillé l’armée dans ses chansons (Au suivant, 1964) ou manifesté des inclinations de gauche (Jaurès, 1977). Cela  ne l’a pas empêché, de devancer l’appel  pour faire son service militaire (1948). Ainsi, en est-il du personnage. A peine pense-t-on le saisir qu’on le découvre autre. Comme on le verra, Brel n’était en rien conforme aux valeurs dominantes d’une société qui se décomposait déjà. C’était fondamentalement un créateur et un rebelle, sans doute apolitique malgré quelques chansons engagées.

Très tôt, la figure de l’artiste s’est affirmée chez lui. A l’âge de seize ans (1945), Brel met sur pied une troupe de théâtre dont il écrit les textes. Sa passion pour les planches le conduit, d’ailleurs, à l’échec scolaire.

Dépourvu de tout moyen de subsistance, il prend un emploi de gratte-papier dans l’usine paternelle. Cependant le rôle de fils à papa n’était pas taillé pour lui - comme il semble l’être pour nos fils de ministres et députés. Pour s’en évader, il rejoint la société philanthropique La franche cordée, au sein de laquelle il monte plusieurs pièces.

A partir de 1952, Brel compose ses premières chansons. Il les interprète d’abord en famille puis à la fameuse Rose noire de Bruxelles. Ses premières œuvres  lui valent l’indifférence hautaine de son entourage. Face à l’incompréhension dont il est l’objet, Brel finit par rompre avec son milieu familial. En juillet 1953, il part seul à Paris dans l’espoir de la reconnaissance et du succès. Son père lui coupe, alors, les vivres.

Les deux premières années de sa vie parisienne sont particulièrement difficiles. Sa première parution à l’Olympia est un fiasco. Le public parisien se moque de ses allures de petit Belge. Aussi, est-ce un grand mérite de sa part de n’avoir jamais renié sa belgitude et de l’avoir, au contraire, exaltée dans ce que certains considèrent comme nos ridicules. 

Que l’on songe, par exemple, aux frites de chez Eugène et d’ailleurs qui reviennent comme un leitmotiv dans ses chansons. Aujourd’hui, il serait difficile d’imaginer des millions de Français reprendre le refrain « On ira manger des moules et puis des frites des frites et puis des moules et du vin de Moselle » (Jef, 1964)  et « Cela sentait la morue jusque dans le cœur des frites » (Amsterdam, 1964). Pourtant, ils le firent, subjugués par la magie de son verbe poétique.  

En 1955, l’horizon de Brel s’éclaircit. Cette année-là, il sort son premier 33 tours chez Philips. Sa femme le rejoint à Montreuil. Il rencontre Georges Pasquier, dit Jojo, qui deviendra son régisseur et  son meilleur ami.

Jojo illustre l’un des talents cachés de Brel : l’amitié qui est la vertu des hommes libres. Après la mort de Jojo, survenue en août 1974, Brel donnera son nom à son avion, puis il lui dédiera une chanson dans laquelle on peut entendre ce couplet : « Jojo ! Nous parlons en silence d’une jeunesse vieille. Nous savons tous les deux que le monde sommeille par manque d’imprudence ». Un constat que nous faisons volontiers notre.

Mais, ne brûlons pas les étapes et revenons à la période 1955-1966. Durant ces onze années, Brel connaît une ascension ininterrompue vers la gloire. En 1957, il sort son deuxième 33 tours où figure son premier grand succès (Quand on a que l’amour).

En 1958, il revient sur scène à Paris. Cette fois-ci, le public le plébiscite. En 1959, il sort son quatrième album (La valse à mille temps) et enflamme le public de Bobino. Les tournées se succèdent à un rythme infernal, ce qui lui vaut le surnom de galérien des galas. En 1961, il publie deux albums. Le récital qu’il donne à l’Olympia est salué, par ses biographes, comme le moment phare de toute sa carrière. En 1962 il enregistre, Le plat pays, sur le texte duquel nous reviendrons. Dans les années suivantes, Brel triomphe sur les scènes du monde entier.

 Pourtant, en 1966, il annonce sa décision d’arrêter de chanter déclarant qu’il ne peut plus rien apporter au monde de la chanson. Saluons, au passage, le courage et le panache de Brel qui a préféré épargner son art plutôt que de gagner trop d’argent.

Toutefois, l’artiste qui vit en Brel n’est pas mort. Il hésite entre le cinéma et le théâtre. Il joue d’abord dans le film Les risques du métier d’André Cayatte (1967) puis crée, à la Monnaie de Bruxelles, L’homme de la Mancha (1968).  

A partir de 1969, Brel choisit de s’engager exclusivement dans une carrière cinématographique. Celle-ci connaît, aussi, de grands succès. Citons pour mémoire ses rôles dans Mon oncle Benjamin (1969) d’Edouard Molinaro, Les assassins de l’ordre de Marcel Carné (1971), L’aventure c’est l’aventure de Claude Lelouch (1971).

Dans cette période, Brel s’essaye à la réalisation avec deux films Franz (1971) et Le Far West  tourné à Bruxelles (1973). Ses deux créations sont des échecs. La dernière particulièrement qui marque la véritable fin de sa carrière artistique.

En 1974, Brel est opéré d’un cancer du poumon. Affaibli et condamné par la maladie, il se retire du monde. Il s’adonne, alors, à ses deux grandes passions sportives : la voile et l’aviation. En 1975, il s’installe définitivement aux Marquises. Il acquiert un nouvel appareil – le fameux Jojo – dont il fera un avion-taxi au service des insulaires isolés. En 1977, il compose dix-sept chansons-testament, dont une douzaine sera reprise dans l’album Les Marquises. Celui-ci est un immense succès avant d’être lancé. Plus d’un million d’exemplaires sont commandés avant leur mise sur le marché.

En juillet 1978, l’état de santé de Brel se dégrade subitement. Il est transporté en France. Après une courte période de rémission, il meurt le 9 octobre d’une embolie pulmonaire à l’hôpital de Bobigny.  Le 12 octobre sa dépouille mortelle est ramenée aux Marquises et enterrée sur l’île d’Hiva-Oa, non loin de la tombe du peintre Gauguin.

L’évocation un peu aride de la biographie de Brel ne nous doit pas faire perdre de vue les raisons pour lesquelles il mérite l’hommage du Bastion. La première d’entre-elle est qu’il fut un chanteur authentiquement populaire. C’est-à-dire un chanteur pour le peuple. Cette notion de chanteur pour le peuple est indissociable d’une poésie qui trouve son inspiration dans une culture enracinée. Telle est la force du Plat Pays qui peut, à maints égards, être considéré le chant de notre terre. Et, puisque nous évoquons ce merveilleux texte, nous vous invitions à le fredonner avec nous en reprenant ces deux strophes :


Avec des cathédrales pour uniques montagnes
Et de noirs clochers comme mâts de cocagne
Où des diables en pierre décrochent les nuages
Avec le fil des jours pour unique voyage
Et des chemins de pluie pour unique bonsoir
Avec le vent d'ouest écoutez-le vouloir
Le plat pays qui est le mien
 
Avec de l'Italie qui descendrait l'Escaut
Avec Frida la Blonde quand elle devient Margot
Quand les fils de novembre nous reviennent en mai
Quand la plaine est fumante et tremble sous juillet
Quand le vent est au rire quand le vent est au blé
Quand le vent est au sud écoutez-le chanter
Le plat pays qui est le mien.

 

            Au-delà de la poésie des paroles, observez la puissance évocatrice des mots : cathédrales, noirs clochers, diables en pierre, Frida la Blonde. Imaginerait-on Brel, chantant les minarets comme mâts de cocagne ? Fatima la noire quand elle devient moricaude ?

Avec Brel, on est loin des borborygmes éructés par les groupes pseudo-ethniques de smurf et de rap. On est dans la grande tradition bardique. Dans une tradition virile, aussi. Nul doute que certains de ses textes seraient aujourd’hui condamnés pour incitation à la haine sexiste. Ainsi, Amsterdam ne franchirait plus la censure médiatique. Il suffit d’en rappeler quelques paroles pour en être immédiatement convaincu : « Dans le port d'Amsterdam y a des marins qui dansent en se frottant la panse sur la panse des femmes. Et ils tournent et ils dansent. Comme des soleils crachés. Dans le son déchiré, d'un accordéon rance. Ils se tordent le cou pour mieux s'entendre rire jusqu'à ce que tout à coup l'accordéon expire, alors le geste grave, alors le regard fier, ils ramènent leur batave jusqu'en pleine lumière… et ils pissent comme je pleure sur les femmes infidèles. »

            Pourtant, cette chanson mâle connut un énorme succès, tant auprès du public masculin que féminin. Il est vrai que c’était du temps où Bruxelles bruxellait et où les femmes n’étaient pas encore entrées dans la lumière du divin Cantat.

Mais, trêve de lèse-média et revenons à notre Grand Brel. Il reste, en effet, encore à distinguer l’un des derniers nobles traits de sa personnalité : l’ironie.

L’ironie de Brel nous semble d’autant plus digne d’intérêt qu’elle fait, particulièrement, défaut à notre siècle où domine le vulgaire infatué. Elle se manifeste, notamment, dans Les Bourgeois. Brel nous y montre trois jeunes étudiants qui se moquent des notables et qui notables, à leur tour, s’indignent de l’effronterie de la génération suivante. L’ironie n’est pas seulement, ici, une ironie du sort où l’arroseur se retrouverait arrosé. Elle est dans l’attitude des protagonistes qui s’indignent d’une liberté de penser qui fut naguère celle qu’ils prônaient. Au point qu’ils demandent à la police de la réprimer : Et c'est en sortant vers minuit Monsieur le Commissaire que tous les soirs de chez la Montalan,t de jeunes "peigne-culs" nous montrent leur derrière, en nous chantant les bourgeois c'est comme les cochons plus ça devient vieux plus ça devient bête. Les bourgeois c'est comme les cochons plus ça devient vieux plus ça devient c...

Il y a dans cette chanson bien des vérités à méditer. Ainsi, pouvons-nous confirmer, avec Brel, que bien des étudiants que nous avons connus jeunes opposants de droite et qui se trouvent, aujourd’hui, dans les sphères gouvernementales ont perdu le sens de l’humour et celui des libertés publiques. La preuve ? Dès que nous en faisons usage, ils nous font convoquer devant la police de la pensée… Mais, rassurez-vous, fidèles lecteurs, cela ne nous empêchera pas de chanter l’éternelle jeunesse de notre plat pays qui n’est manifestement plus le leur.

 

 

AUTOUR DE LA COMMEMORATION

 

EXPOSITIONS 

 

Brel le droit de rêver :  

Une visite dans l’univers de l’artiste recréé sur 3000 m², grâce à la fondation Brel.

Ouverture au public  7 jours sur 7, sauf jours fériés
de 9h30 à 20h30 (dernière entrée)
Rue de l'Ecuyer 50, 1000 Bruxelles
Réservation conseillée : (0)70 22 30 13.

Prix Ticket:
8 €: Individuel
6 € Senior, étudiant, handicapé, membre de la Fondation (sur présentation d'un justificatif)

Une Dernière soirée à l’olympia

Vous assistez au récital des adieux de Brel, comme si vous étiez, ce soir-là, au célèbre music-hall parisien. Vous écoutez Brel, dans sa loge, s'expliquer sur son souhait d'arrêter de chanter, de "chercher une autre forme de liberté".

 

Horaires :
Ouverture tous les jours sauf lundi et jours fériés
De 10h à 17 heures (dernière entrée)
Adresse: Place de la Vieille Halle aux Blés, 11.

1000 Bruxelles
Réservation: (0)2.511.10.20

Prix Ticket :
5 € Individuel
3,5 € Senior, handicapé, junior, étudiant, groupe de 25 personnes

Gratuité pour les chômeurs/cpas (article 27), enfants de moins de 12 ans.

 

SITES INTERNET

 

www.jacquesbrel.be

www.brel-2003.be

 

FETES DE NOEL

 

Sortie de 5 chansons inédites par la fondation Brel.

Intégrale en CD de l’œuvre chez Universal.

 

 

 

 

(Bastion n°74 d'octobre  2003)

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