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Le retour des héros

 

 

Ces deux dernières semaines, nos lecteurs auront certainement vu sur les bus et les trams bruxellois les affiches de HERO, le dernier film de Yimou Zhang. Celles-ci auront, peut-être, retenu leur attention comme elles ont retenu la mienne. Quoi de plus étonnant, en effet, de voir mis sur la place publique un mot banni de la culture officielle ? Comme le disait déjà Thomas Carlyle en 1841 : « Je suis bien conscient qu'à notre époque la vénération des héros […] donne tous les signes de s'être progressivement affaiblie et d'avoir fini par disparaître. La période où nous vivons […] semble d'une certaine manière nier l'existence de grands hommes ».

            Le souvenir de cet écrit prophétique m’a naturellement conduit vers la place de Brouckère, où se donne le film. Dès les premières images, je fus séduit par la perfection de l’œuvre. Chaque scène est un tableau, composé avec un soin extrême. Mais avant d’explorer l’esthétique très particulière du film, on en évoquera brièvement l’histoire.

            L’action se déroule environ deux siècles avant notre ère dans une Chine divisée en sept royaumes combattants. L’un de ces  royaumes est gouverné par Qin Shi Huang Di qui sera, plus tard, le premier empereur de la dynastie Qin et le bâtisseur de la grande muraille.

Le but du roi est d’unir la Chine dans un même ensemble politique. Pour cela, il a recours à la force des armes. La guerre d’unification, comme tout conflit, suscite vengeances, haines et passions. Les six royaumes opposés à Qin décident d’engager trois combattants, légendaires, afin de l’assassiner. Apparemment, le complot est déjoué par un quatrième héros – Sans-Nom - qui a le privilège de rencontrer le roi Qin en tête-à-tête.

Lors de cet entretien, Sans-Nom narre ses exploits sur trois modes différents. Chacun des récits est marqué par une tonalité chromatique : le rouge, le blanc et le vert. Dans la culture chinoise, le rouge symbolise la chance, le blanc la mort et le vert la vérité. Ce code des couleurs nous dévoile le sens caché du film. Contrairement à ce que l’on a pu lire dans La Libre Belgique, il n’est pas de délivrer « une réflexion sur l’absurdité de la guerre »[1]. A l’opposé, il est de s’interroger sur sa justification. Or, la progression du récit du rouge au vert montre qu’on va de l’accidentel (la chance) à l’essentiel (la vérité). La fin du film est, d’ailleurs, sans ambiguïté. Elle nous livre, sous forme d’idéogramme, la réponse à la question soulevée : oui, la guerre a un sens quand elle sert une fin supérieure – en l’occurrence une fin politique. A cette condition, le héros peut sacrifier sa vie.

Il faut l’admettre, ce genre de message est hors de portée du vulgum journalisticus, nourri par trente ans de pacifisme émollient. Toutefois, quelques rares critiques, plus idéologiquement avertis, ne s’y sont pas trompés. Ils ont reconnu dans l’œuvre de Yimou Zhang un redoutable contre-poison à la sous-culture que l’on nous administre quotidiennement. Aussi ont-ils rangé le film dans la catégorie des œuvres indésirables, qualifiant HERO : « de film d’un peintre frustré au service du gouvernement, qui se retrouve à filmer du cinéma de propagande ».

Ce genre d’appréciation digne de la Pravda, aux plus belles heures de la langue de bois, ne doit pas nous abuser. HERO est un grand film, comparable au Tigre et Dragon de Ang Lee, lequel connut, en Europe, un grand succès populaire en dépit d’une critique mitigée. Et oui, il est en ainsi, Messieurs les marquis médiatiques ! Le peuple aspire à la grandeur. Et, propagande pour propagande, il préfère encore celle qui élève ses sentiments – fut-elle étrangère – à la votre qui les avilit.

            Il est très probable que si le film avait été occidental il aurait déchaîné les mêmes réactions haineuses que le Seigneur des anneaux. Mais voilà, HERO est le fruit du génie d’une autre pseudo-race qui n’existe pas. Aussi peut-il, malgré tout, passer la censure.

On s’en réjouira, car ce que nous dévoile HERO, c’est que la Chine a retrouvé sa conscience historique et que nous pouvons faire de même. Ce n’est certainement pas un hasard, si cette œuvre a vu le jour au moment où les dirigeants chinois exaltent la culture nationale, invitent leurs compatriotes à redécouvrir leurs traditions et lancent leur premier vaisseau à la conquête de l’espace.       

Qui sait si HERO n’annonce pas la renaissance d’une grande civilisation – figée par le mandarinat et presque anéantie par le socialisme maoïste ? Cela serait, sans doute, l’événement le plus heureux du XXIe siècle. La lumière reviendra-t-elle d’Orient (Ex Oriente Lux) sur fond de révolution esthétique ? L’histoire des idées le dira. En attendant, on s’émerveillera de celle projetée par le film de Yimou Zhang.  

             Cet émerveillement ne vient pas seulement des prouesses techniques du film où les images virtuelles se mêlent harmonieusement aux décors naturels. Elle vient, aussi, du parfait équilibre entre la musique, les costumes et les scènes de combat. Du point de vue technique, on observera que le réalisateur emploie souvent le plan fixe – d’où l’impression de tableau – dans lequel ses personnages s’incrustent et dessinent de majestueuses courbes, réglées par une chorégraphie sans défaut. Cette technique du plan rectiligne est particulièrement contraignante. Elle force à la minutie. Elle ne souffre pas la médiocrité, car elle laisse au spectateur le temps de l’analyse et de la réflexion. Ce qui, on le comprend bien, n’est pas du goût de notre nomenklatura qui préfère, pour le peuple, les émissions télévisées culpabilisantes et abrutissantes.

Faut-il, pour autant, désespérer du retour de nos Héros sur nos écrans et, au-delà, dans notre imaginaire national ? Selon Carlyle, ils reviennent nécessairement à la fin de toutes les décadences. Et puisqu’il nous offre cet espoir, il me semble équitable de le laisser conclure cette invitation à de nouveaux temps héroïques : « N'est-il pas vrai que tout homme sincère sent bien qu'il s'élève lui-même en manifestant sa soumission à ce qui le dépasse ? Il n'est, dans le cœur de l'homme, pas de sentiment plus noble ou plus sacré. Et ce m'est un grand réconfort de constater qu'aucune logique sceptique, aucune veulerie générale, aucune insincérité ou aridité des âmes, à quelque époque que ce soit, ne peut détruire en l'homme cette loyauté et cette vénération innées. Dans les tristes périodes où prévalent le doute ou l'incroyance, […] bien des bassesses, bien des déchéances et bien des désastres sont visibles à tous les regards. Mais pour ma part, lorsque je me penche sur de pareilles époques, je vois dans l'indestructibilité de la vénération des héros le rempart infrangible, infranchissable et éternel qui arrête la destruction et le chaos. »

 



[1] La Libre Belgique, Hubert Heyrendt, l’empereur et sans nom, 28/10/2003.

 

(Bastion n°76 de décembre 2003)

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