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Le dernier Samouraï

 Un a priori sans fondement m’a longtemps tenu éloigné du Dernier samouraï, réalisé par Edward Zwick. J’avais lu, en effet dans quelque site identitaire, que l’œuvre participait de l’inévitable tropisme ethno-masochiste. Toutefois, le temps passant, de plus en plus d’échos favorables me sont parvenus de ladite œuvre.

Puis, une vague relation, à laquelle je faisais part de mon intention de la découvrir malgré tout, m’a objecté : vous n’allez quand même pas voir ce film. Cela serait donner de l’argent à l’église de scientologie.

Je dois avouer que, sur le coup, je n’ai pas compris le sens de sa réflexion. Ce n’est que quelques instants plus tard que j’ai réalisé l’allusion à Tom Cruise et à son appartenance à la fameuse secte. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est précisément cette injonction bien-pensante qui m’a finalement convaincu de me rendre au cinématographe.

         Comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois dans ces colonnes, cela devrait être une règle absolue, en matière d’art, de juger les artistes à leurs œuvres et non les œuvres à leurs artistes[1]. Ajoutons à cela que plus on dit, aujourd’hui, du mal d’une création plus elle a de chances de sortir des canons de la décadence. En cela, je suis de plus en plus tenté d’aller à la rencontre de La Passion du Christ. Alors que ma réaction première a été de fuir la représentation de la mort de Dieu à l’écran. Mais cela est une autre histoire…

         Pour l’instant, revenons à celle de l’empire du soleil-levant au moment où débute l’ère Meiji. Nous sommes en 1876. Neuf ans après que l’empereur Mutsuhito ait accédé au pouvoir. Le jeune Mikado est un réformateur. Il a compris que pour lutter contre une civilisation envahissante et plus performante que la sienne il faut se doter de ses armes. Il faut, aussi, liquider la caste qui empêche les réformes et dont le mode de fonctionnement conduit à l’affaiblissement du pays.

Dans cette perspective, l’empereur est confronté à un terrible dilemme. Pour sauver le Japon, il doit abattre la société féodale et la meilleure part qu’elle a en elle : les samouraïs. Ceux-ci sont non seulement les porteurs des hautes-vertus de la chevalerie nippone mais également les gardiens de la tradition nationale. Ainsi, la question se pose à l’empereur de savoir jusqu’à quel point il peut réformer le Japon sans en tuer l’esprit.

On peut soutenir que le film débute au moment où cette question n’est pas encore tranchée. La réponse est, justement, apportée par la fresque épique et son aboutissement tragique.

 Pour venir à bout du dernier clan de samouraïs rebelle à sa politique, l’empereur donne carte blanche à son premier-ministre - Omura. Affairiste sans scrupule, Omura décide d’avoir recours à des mercenaires de l’armée américaine. Sa décision est inspirée par l’idée que les Américains ont le meilleur équipement militaire et, surtout, l’expérience de la guerre civile.

C’est ici qu’apparaît le personnage central du film : le capitaine Natahan Algren interprété par Tom Cruise. Héros des guerres indiennes et de la guerre de Sécession, l’ancien officier est rongé par de sombres remords. Tombé dans l’alcoolisme, Algren en est réduit à jouer des rôles de camelot grotesque pour survivre.

A première vue, le personnage est peu reluisant et l’on comprend la réticence de certains à s’y identifier. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, les regrets qui minent Algren ne sont pas de la même nature que ceux qui rongent l’âme des occidentaux d’aujourd’hui. Il ne souffre pas d’une culpabilité originelle mais d’avoir servi des causes qui ont sali son honneur de guerrier.

Retrouvé par son ancien chef, le Colonel Bagley, Algren se laisse convaincre de se rendre au Japon pour entraîner la première armée de conscription du pays. Il voit dans cette offre une occasion d’un gain facile mais surtout de se fuir lui-même. Paradoxalement, cette fuite en avant va l’amener à se retrouver. Arrivé au Japon, il constate rapidement l’état d’impréparation des troupes impériales. Nonobstant son avis, celles-ci sont engagées contre le clan du légendaire Katsumoto. Malgré leur supériorité matérielle, les troupes impériales sont décimées lors d’une embuscade tendue dans une forêt. Algren, pris également au piège, décide de se battre jusqu’à son dernier souffle. Son courage lui vaut la clémence de Katsumoto qui le fait prisonnier et l’emmène dans son village.

  A partir de ce moment Algren va vivre une véritable renaissance inspirée par la redécouverte de l’honneur et la quête de la perfection. Peu à peu, Algren comprend la richesse et la complexité de la culture japonaise. Il s’initie à l’art du sabre et devient l’un des lieutenants de Katsumoto.

Une fois encore, il ne faut pas s’y tromper cette amitié n’est pas le fruit de la commisération - même inversée – de l’Occidental vis-à-vis de l’Asiatique. Elle témoigne davantage du fait que les hommes supérieurs sont nés pour s’entendre quel que soit ce qui les sépare.

Ce que découvre Algren, c’est ce que notre civilisation a perdu ce que la civilisation japonaise est sur le point de perdre : un principe organisateur tourné vers le dépassement de soi. Emporté par cette révélation, Algren soutient Katsumoto dans son combat pour sauver la tradition. Le combat est sans espoir. Mais, comme on le verra, il n’est pas vain.

Le sommet tragique du film est atteint dans l’ultime bataille, où les samouraïs tombent sous le feu des mitrailleuses. Algren est le seul survivant. Avant de mourir, Katsumoto lui demandé de remettre son sabre à l’empereur. Une mission dont il s’acquitte dans la dernière scène du film. L’empereur accepte l’hommage et comprend qu’il ne peut sauver le Japon en tuant son âme. Il renvoie son premier-ministre et décide [ce qui n’est montré dans le film] d’intégrer la tradition à la modernité, en étendant l’idéal du Bushido – l’éthique samouraï - à l’ensemble de la société. Ainsi, le sacrifice de Katsumoto est-il sublimé et son combat justifié.

         Tout bien considéré, le film de Zwick est idéologiquement très incorrect. Il y souffle, sur un fond esthétique grandiose, le vrai sens de la liberté : la résistance à l‘avilissement et au déracinement.

A voir sans modération.

 Alexandre Lignières

 



[1] L’idée de juger les oeuvres à leurs artistes est une de ces nombreux tours de passe-passe utilisés par la subversion pour sanctifier l’art décadent. Qu’importe ce que l’artiste produit s’il est conforme à ce que le système attend de lui.

 

 

(Bastion n°80 d'avril 2004)

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