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Le roi Arthur, selon Fuqua

 

Amis du Bastion, j’ai retenu ce mois-ci, pour alimenter cette chronique, le roi Arthur, le dernier film d’Antoine Fuqua. Comme pour la Passion du Christ, j’ai hésité avant d’aller voir cette œuvre. J’avais, en effet,  entendu un bref commentaire selon lequel le film avait pris le parti de ‘’revisiter’’ la légende arthurienne et de nous présenter l’Arthur historique, tel qu’il apparaît à la lumière de récentes découvertes archéologiques. Familier du monde arthurien, je me demandais ce que pouvaient être ces découvertes ? Je redoutais là quelque effet d’annonce destiné à faire la promotion d’un navet du genre Lancelot (le film de Jerry Zucker, 1995) et qui serait, de surcroît, une pénultième entreprise hollywoodienne de démystification de l’héritage spirituel des européens. En outre, je pensais – et pense toujours – qu’il serait impossible de surpasser l’Excalibur de John Boorman (1981), un chef-d’œuvre total, digne de la plus haute tradition celtique et chevaleresque.

Cependant, faute de grive cinématographique, je me laissais tenter par le merle de Fuqua en me disant qu’il me donnerait, au moins, l’occasion d’évoquer l’un de mes thèmes favoris. Sur un point précis, mes appréhensions étaient, cependant, fondées : le film ne s’appuie sur aucune découverte archéologique récente et son parti de faire d’Arthur un général romain du temps de la chute de l’empire n’est pas nouvelle.

Il y a presque trente ans, Jean Markale dans son Roi Arthur et la société celtique (Payot, 1976) y faisait, déjà, allusion. Dans un ouvrage plus récent (Le cycle du Graal, éditions Pygmalion, 1992), Markale précise ce qu’a été l’Arthur originel, matrice du mythe :

« Arthur est en effet un personnage historique de l’an 500 de notre ère. Il était, d’après les documents fiables (en latin), un dux bellorum, c’est-à-dire un chef de guerre, louant ses services aux rois bretons qui avaient besoin de guerriers pour repousser les invasions saxonnes dans ce qui était, alors l’île de Bretagne, autrement dit la Grande Bretagne actuelle. L’époque était celle de la fin de l’empire romain et du début de la civilisation mérovingienne, du moins sur le continent, et il est plus vraisemblable d’imaginer cet Arthur revêtu d’un uniforme romain du Bas-empire que de le décrire sous l’aspect d’un roi Plantagenêt du XIIe siècle… Son champ d’action a été essentiellement le comté de Cornwall, avec la fameuse forteresse de Tintagel… Les succès obtenus par Arthur contre les envahisseurs germaniques semblent avoir été d’une réelle importance et avoir reculé d’une cinquantaine d’années la prises de possession, par les Saxons, de la plus grande partie de l’île. »

Le film de Fuqua reprend cette hypothèse et situe l’action en 452 de notre ère, au moment, où Rome s’apprête à retirer ses légions de l’île de Bretagne et à la livrer aux envahisseurs. Arthur y est décrit comme le fils d’un noble romain et d’une bretonne. Il porte le nom de Lucius Artorius Castus et il est le chef de la cavalerie sarmate. Ses compagnons sont : Lancelot, Bohort, Gauvain, Tristan, Galahad et Dagonet. Ces derniers forment une petite troupe ressemblant plus à l’équipe indisciplinée des Sept mercenaires qu’à l’élite équestre romaine.

Au passage, on notera qu’aucun élément historique ne permet de croire qu’Arthur fut entouré de cavaliers Sarmates (pourquoi pas germains ?) – peuple que l’on trouvait présent, à cette époque, de l’Iran au Kirghizstan. Mais, voilà ! Il faut en toute circonstance sacrifier à la religion multiraciale et mettre des Kirghizes là où il n’y avait que des Pictes et autres Bretons, confrontés à des Saxons envahissants. Ainsi délivre-t-on le message subliminal que la Celtie aurait été, en quelque sorte, sauvée des hordes pré-nazies [les Saxons sont dépeints, dans le film, comme des racistes avant l’heure, fanatiques de la pureté du sang] par des pré-musulmans qui se battaient pour la liberté et la démocratie.

Si l’on ajoute à cela l’orientation très anti-chrétienne du film [les Romains chrétiens torturent les Pictes païens au fond de cachots sordides et les prélats sont de vils intrigants], on aura une idée du fond de commerce idéologique de cette production ‘’mondialisée’’.

Une fois averti  de ces travers hollywoodiens, on pourra, néanmoins, voir le film comme un récit d’aventures. Ou, plus exactement, comme la relation classique d’une opération commando. On y trouve tous les thèmes communs à ce genre. Par exemple celui de la dernière mission qui intervient, ici, au moment  où les hommes d’Arthur allaient être libérés de leur service, mais se voient contraints, par l’envoyé du Pape, de le prolonger sous peine de ne pas obtenir leur sauf-conduit leur permettant de rejoindre leur natale Sarmatie. Leur mission consiste à  évacuer la villa d’un cruel dignitaire romain persécuteurs de Pictes dont le fils Alecto est pressenti pour succéder au Pape.

L’expédition a pour cadre le pays qui se situe au nord du mur d’Hadrien (magnifiquement reconstitué, pour les besoins du film, sur une longueur de 950 mètres). C’est le territoire des ennemis bretons dans lequel rôdent, aussi, les hordes de Saxons.  Au cours de cette mission, Arthur sauve la vie de la princesse Guenièvre, condamnée à mort pour hérésie. Or, Guenièvre est (dans le film) la fille de Merlin, lui-même chef des Pictes. Cette action donne à Arthur l’occasion de se rapprocher de ses ennemis d’hier et de forger une alliance contre les Saxons qu’il battra devant le fort du mont Badon.

Comme on le voit, le film s’écarte ostensiblement du récit mythologique et recrée une histoire qui n’est pas la notre, mais malgré ce défaut, il a plusieurs qualités qui retiennent l’attention. D’abord, il faut souligner la beauté et la grandeur des paysages hivernaux. Le réalisateur a su tirer profit des forêts enneigées des cours d’eau glacés pour donner l’impression d’un monde antique livré aux invasions barbares. La plupart des scènes ont, d’ailleurs, été tournées en Irlande, seconde terre d’élection de la geste arthurienne. Une scène mérite à elle seule la vision du film : celle de la confrontation, sur le lac gelé, entre les archers de Cynric, fils du roi saxon Cerdic et ceux d’Arthur. Elle n’est, d’ailleurs, pas sans rappeler une scène analogue dans l’Alexandre Nevski d’Eisenstein.

D’une manière générale, on peut aussi dire que le film participe de la culture néo-héroïque américaine. Celle-ci est, à tout prendre, bien meilleure que la sous-culture avilissante qui caractérise, souvent, l’univers cinématographique européen. Ainsi, Fuqua n’hésite pas à exalter clairement les valeurs de courage, de loyauté, de fraternité d’armes et de sacrifice. Quant aux traîtres, ils ont le sort qu’ils méritent. Pour être honnête, il faut également signaler que certains tableaux parviennent même à s’élever à la hauteur de la tradition celtique, tel la scène du mariage d’Arthur et de Guenièvre au milieu d’un cercle de menhirs.

Paradoxalement, l’une des qualités de Fuqua est de ne pas s’intéresser à la légende celtique, laquelle aurait manifestement dépassé ses capacités spirituelles. En se limitant au récit épique, il a su trouver un registre qui est en mesure de nous divertir. De cette manière, il ne se compare en rien à Boorman et ne déçoit pas outre mesure les connaisseurs d’Excalibur, la référence cinématographique arthurienne absolue.

Pour conclure sur les deux facettes d’Arthur, le personnage historique et la figure mythique, je citerai une dernière fois Markale qui en quelques lignes nous explique comment nous sommes passés de l’une à l’autre : « Les victoires d’Arthur (…) ont provoqué l’imaginaire des Bretons soumis aux Saxons (…) Le personnage s’est vu gratifié d’une véritable auréole de sainteté et de nationalisme et il est devenu le grand roi mainteneur des traditions celtiques, le puissant empereur seul capable de s’opposer aux forces du désordre. Et, dans ce cheminement imaginaire le héros réel ne pouvait rencontrer que des figures mythologiques très anciennes et les intégrer dans son propre personnage. Sait-on que le nom d’Arthur provient d’un terme celtique qui désigne l’ours. Or, dans la symbolique celtique, l’ours représente la classe royale des guerriers. De plus, il est certain que cette image de l’ours, en dormition pendant l’hiver et se réveillant aux beaux jours, n’a pas été sans effet sur légende du roi dormant qui reviendra lorsque les temps seront accomplis ».

Ces temps étant accomplis, l’empereur auréolé de nationalisme, annoncé par la légende celtique, ne devrait plus trop tarder à se réveiller, s’il veut s’opposer aux nouveaux barbares et sauver nos traditions.

Alexandre Lignières

 

 

http://www.ed-wood.net/excalibur.htm

 

 

 

 

 

(Bastion n°84 de novembre 2004)

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