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Le secret des poignards volants

 

Amis du Bastion, avant de me lancer dans cette chronique, permettez-moi de vous présenter mes meilleurs vœux pour l’année 2005. Qu’elle vous donne, par les neufs muses et les sept arts libéraux, d’innombrables occasions de réjouir vos esprits éclairés. Hélas, il faut le reconnaître, Clio et ses sœurs semblent avoir déserté notre continent pour d’autres rivages plus accueillants. C’est ce qui nous amène, plus souvent qu’à notre gré, à tourner notre regard critique vers les œuvres cinématographiques des deux grands empires du moment, les Etats-Unis et la Chine.

Le premier parce qu’il s’empare, sans vergogne, des nos mythes – il est vrai, laissés à l’encan. Le second parce qu’il retrouve son histoire et ses légendes pour construire l’avenir. Peut-être, est-ce là le secret des poignards volants, le dernier film de Zhang Yimou. Une œuvre où la tradition se mêle harmonieusement à la modernité.

Ceux qui me lisent régulièrement se souviennent, certainement, de mon analyse de HERO, le film précédent de Zhang Yimou dont j’avais distingué l’esthétique exceptionnelle. Celle-ci m’avait tellement impressionné que je redoutais, un peu, la vision du secret. Car, la déception suit, parfois, les trop grandes satisfactions. Pourtant, il faut le dire, Zhang Yimou a su se renouveler d’un film à l’autre. Certes, on retrouve, les mêmes danses martiales, toujours aussi majestueuses, mais conduites d’une manière très différente que dans HERO.

Dans le secret des poignards volants, Zhang Yimou a manifestement souhaité s’éloigner des films de kung-fu pour s’approcher du style Wuxia, un genre associant l’épopée chevaleresque et la mythologie chinoise. La distinction peut paraître subtile. Pourtant, le public ne s’y trompe pas. Ainsi, lors de la projection, j’ai pu remarquer qu’une bande de jeûûûnes spectateurs, en quête d’hémoglobine, est partie au bout d’un petit quart d’heure. Sans doute dépitée par une histoire d’amour et de paix (intérieure)… Car, Le secret des poignards volants, est avant tout, une fresque de l’amour impossible. On y retrouve la même structure que dans Tristan et Iseult, sur fonds de drame cornélien. Que nous raconte, en effet, cette version chinoise du Cid ?

Le drame se situe au moment où la dynastie Tang entre dans son déclin. La Chine est ravagée par les conflits intérieurs menés par les sociétés secrètes. La plus prestigieuse d’entre elles est, précisément, la Maison des poignards volants. Un jeune capitaine de la police impériale (Jin) est chargé de l’infiltrer en gagnant la confiance d’une jeune danseuse aveugle (Mei) soupçonnée d’être la fille du chef du groupe rebelle.

Sur le chemin qui les conduit vers le repaire des poignards volants, les deux héros, antagonistes, tombent amoureux l’un de l’autre. Chacun à leur tour, ils trahissent la mission qu’ils ont reçue. Comme dans les contes de la tradition européenne, l’amour transcende les conventions sociales mais n’est pas au-dessus. Cela signifie que la passion des amants absout leur faute, mais qu’ils doivent en supporter les conséquences. C’est-à-dire accepter la mort sociale qui, autrefois, signifiait la mort biologique – l’individu ne pouvant survivre sans le secours de son groupe. C’est pour cette raison que les histoires d’amour (non-conventionnelles) finissent mal, en général.

Sur cette structure très classique, Zhang Yimou construit un nouveau chef -d’œuvre, conçu pour le ravissement des yeux. Trois scènes méritent à elles seules la vision du film : celle de la danse des tambours, de la forêt de bambous et du combat final dans la tempête de neige.

La scène des tambours est celle où l’on découvre l’héroïne Mei. Le cadre est celui d’une maison de plaisirs où la jeune femme tient le rôle d’une danseuse aveugle. Elle y est réputée pour une performance chorégraphique étonnante. Utilisant les longues manches de sa robe, elle bat les tambours, disposés en cercle, autour d’elle, dans l’ordre et à la vitesse où ils ont été frappés par son client. Cette étrange représentation donne lieu à une scène d’une grande beauté plastique où l’on  retrouve la fluidité et la grâce des mouvements de HERO.

Dans l’univers de la maison close, tout n’est qu’apparence. Les vêtements sont richement parés. Les couleurs sont vives. Les bijoux sont éclatants et ont le reflet de cristaux kaléidoscopes. On sent la démesure. La surabondance suggère la luxure (luxuria). Bien que rien n’y soit vulgaire, c’est le monde des apparences. Zhang Yimou l’oppose, adroitement, à celui des forêts et des plaines que les deux héros vont traverser pour accomplir leur périple. Dès que les deux héros sortent de l’univers artificiel de la maison close, leur tenue devient austère. Leurs personnages s’effacent devant la majesté de la Nature.

C’est d’ailleurs dans la nature qu’ils auront la révélation de leur amour. Celle-ci est magnifiée dans la scène de la forêt de bambous, qui nous rappelle celle de Tigre et Dragon d’Ang Lee et de quelques autres films asiatiques moins connus. Toutefois, à la différence de celles qui ont pu être tournées jusqu’à présent, Yimou apporte une touche personnelle qu’il décrit de la manière suivante : "Dans ma forêt à moi, le combat se déroule simultanément sur le sol et au sommet des végétaux. Les deux amants en fuite se battent au sol tandis que l'ennemi leur fond dessus depuis les hauteurs." Cette scène est une véritable performance technique, car elle est principalement tournée en plongées et contre-plongées, sans pour autant écraser les acteurs par une verticalité excessive. Cette innovation souligne tout le génie du réalisateur qui tout en restant dans sa tradition l’enrichit de sa propre création. En cela, on peut le qualifier Zhang Yimou de maître du septième art.

On lui devra, aussi, un des plus beaux tableaux cinématographiques jamais composés. Celui du combat final, au moment précis où tombe une première neige. Cette scène m’a personnellement beaucoup intrigué. Pour une raison que je ne saurais dire, je n’arrivais pas à la situer en Chine. Le paysage me donnait l’impression d’être plus familier que les lointaines toundras d’Asie. En outre, je me demandais par quel effet numérique le réalisateur était parvenu à marier une flore aux teintes automnales à une tempête de neige hivernale.

En consultant les notes du tournage, j’ai découvert que le film a été, en partie, réalisé en Europe orientale - en Ukraine. Que la neige, à la surprise générale, y  est apparue bien avant la saison. Zhang Yimou précise que la tempête est arrivée en plein milieu du tournage : « Cela m'a beaucoup inquiété, parce que si la neige continuait à ce train, toutes les feuilles des arbres tomberaient, ce qui poserait de sérieux problèmes de raccord et de continuité... » Malgré la neige, Zhang Yimou s'est résolu à poursuivre la séquence, lui donnant un tour saisissant. A ce sujet, il ajoute : « Je me rends compte que j'ai eu énormément de chance. La neige a créé une tonalité parfaite. C'est le destin - quelque part là-haut, quelqu'un a décidé de m'apporter son aide ».

Cet aveu nous rappelle le dicton, bien de chez nous, selon lequel : Aide-toi et le Ciel t’aidera. C’est le secret que nombre de cinéastes européens ont perdu dans leur course à l’aide publique. Celle-ci les force à aligner le contenu de leurs œuvres sur l’idéologie d'une caste politique médiocre hostile à notre patrimoine culturel. Sans doute feraient-ils mieux de s’aider eux-mêmes pour régénérer nos traditions, gages de notre survie historique. Tel pourrait être le sens caché de cette lumière venue d’Orient.

Post tenebras lux.

Alexandre Lignières

 

 

 

(Bastion n°86 de janvier 2005)

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