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En Verne et contre tous

Amis du Bastion, l’année 2005 marque le centième anniversaire de la mort de Jules Verne. C’est là un événement que je ne saurais manquer tant l’auteur a occupé mes loisirs de jeunesse. Je me souviens encore, avec émotion, de ces vieux cartonnages rouges des collections Hetzel qui traînaient, à l’abandon, dans une bibliothèque poussiéreuse de ma famille. Chaque livre était une découverte qui me transportait dans un univers fait d’aventures guidées par la raison humaine.

Comme j’appartenais au monde anticipé par Verne, j’avais la curieuse impression que ses romans étaient à la fois contemporains et d’un autre siècle. C’est ce curieux mélange d’intemporalité qui leur confère, encore aujourd’hui, un charme étrange. Pour cette raison, je n’hésite pas à recommander la lecture de l’œuvre complète de Verne et cela de 8 à 88 ans. Car Verne est bien davantage qu’un romancier d’anticipation pour adolescents. C’est un maître de la prospective qui a su comprendre combien l’avenir découlait du passé.

C’est ainsi que, plusieurs décennies avant leur invention, Verne a annoncé : le sous-marin, le disque, la télévision, la bombe nucléaire et la conquête de la Lune. Il y a chez Verne un parti qui le rendrait politiquement insupportable à notre caste dirigeante. Son propos littéraire a été, en effet, de remplacer le merveilleux féerique, dans les romans d’aventures, par l’exaltation de l’esprit de science incarné par le savant. Or, c’est aussi l’esprit qui gouverne l’équipe rédactionnelle du Bastion. Celle-ci tente, à la lumière de ses analyses, de déduire ce dont demain sera fait en observant ce que nos gouvernants font du temps présent. De là viennent les persécutions dont nous faisons l’objet. Car s’il y a bien quelque chose que les puissants détestent, c’est de voir leur jeu et leurs erreurs percés à jour.

Comment Verne est-il devenu le maître des causalités ? C’est là une question à laquelle il est bien difficile de répondre. Sa personne est entourée de mystères, de drames secrets qu’il s’est employé à dissimuler. Ce qui frappe, dans la vie de Verne c’est qu’elle est composée de plusieurs couches, de différents rôles et de quelques contradictions idéologiques. Né en 1828 à Nantes, Verne s’affirme très tôt comme un caractère indépendant. A l’âge de onze ans, il fait une fugue pour fuir un père qu’il juge trop sévère. Lors de ses études universitaires, il s’opposera encore à son père en refusant de suivre assidûment les cours de droit et de s’engager dans la carrière d’avocat à laquelle il le destinait.

Dans cette période (1848-1855), Verne fréquente les milieux anarchistes et saint-simoniens. Ils nourrissent son indépendance d’esprit et sa curiosité pour l’industrie et la science – Saint Simon prônait l’instauration d’une république industrialiste gouvernée par les savants et les techniciens. Sous la protection d’Alexandre Dumas, il devient vaudevilliste et écrit des opérettes avec le musicien Marcel Hignard.

Ses premiers textes ne sont pas très heureux. Ils mettent en scène des saynètes truffées de calembours douteux. Verne se rend compte que la gloire n’est pas au rendez-vous et que le registre littéraire dans lequel il s’est engagé est sans issue. En 1856, il opère un changement de vie complet. Il se marie avec une jeune veuve, se réconcilie avec son père qui lui avance les fonds pour acheter une charge d’agent de change.

On pourrait croire l’auteur rangé, prêt à s’engager dans une vie médiocre et bourgeoise. Pourtant, c’est à partir de ce moment qu’il se forge l’idée de son ambition littéraire, dans laquelle il mêlera l’exposé des grandes théories scientifiques de l’époque, le voyage et un hymne à l’humanité savante. Ce composé lui inspire son premier roman célèbre : Cinq semaines en ballon. Malgré l’intérêt et l’originalité du récit, aucun éditeur parisien n’accepte de le publier. Verne essuie quinze refus cinglants mais persiste dans sa volonté d’accéder au grand public.

C’est là que la Providence – à laquelle il croyait sans doute assez peu – le met en relation, en 1862, avec celui qui révélera son talent au grand public : Jules Hetzel. L’homme est un entrepreneur né et une forte tête. Il a connu plusieurs années d’exil, après le coup d’Etat de 1852, pour 

ses opinions non conformes. Et, devinez où le célèbre éditeur s’est réfugié ? En Belgique, dont la monarchie d’alors était bien plus libérale que l’empire de Napoléon-Badinguet. Cela semble difficile à croire – à un moment où nous envisageons notre propre exil vers des terres où la liberté d’expression est constitutionnellement garantie – mais c’est historique (Que de progrès démocratiques depuis lors !!!).

Hetzel revenu en France est au bord de la ruine et comprend que Verne est une mine d’or éditoriale. Il l’adopte littéralement. Une amitié sincère et fidèle se forme entre les deux Jules jusqu’à la mort de Hetzel, en 1886.

Débute, alors, la période des grands romans dont les titres sont universellement connus : Voyage au centre de la terre (1864), De la terre à la Lune (1865), Vingt mille lieues sous les mers (1868), Autour de la Lune (1871) Le tour du monde en quatre-vingt jours (1873), L’île mystérieuse (1874). Le succès est immense et la fortune récompense l’écrivain. Verne devient si riche qu’il achète plusieurs yachts de luxe, voyage sans cesse et mène une vie mondaine fastueuse.

Or, ce train de vie est assez en contradiction avec le message qui commence à poindre dans ses romans à partir du milieu des années 1870 : à savoir que le capitalisme et la course au profit ruineront le monde. Certains diront que c’est souvent la règle des artistes qui ont le cœur à gauche mais le portefeuille à droite. Mais, les contradictions de Verne sont plus profondes. Ainsi, d’un côté il écrit Un capitaine de quinze ans qui est un réquisitoire contre l’esclavage des noirs et le racisme et d’un autre, ses romans sont alimentés de considérations ethnologiques qui lui vaudraient d’être immédiatement mis en prison en Belgique et, probablement, en France.

Qu’on en juge : dans Cinq semaines en Ballon, au moment où les aéronautes survolent l’Afrique on peut lire ce genre de considération : « Quels arbres magnifiques ! s’écria Joe… Ce sont des baobabs, répondit le docteur Fergusson ; tenez en voici un dont le tronc peut avoir plus de cent pieds de circonférence. C’est peut-être au pied de ce même arbre que périt le Français Maizan en 1845, car nous sommes au-dessus du village de Deje la Mhora, où il s’aventura seul ; il fut saisi par le chef de cette contrée, attaché au pied d’un baobab, et ce Nègre féroce lui coupa lentement les articulations, pendant que retentissait le chant de guerre ; puis il entama la gorge, s’arrêta pour aiguiser son couteau émoussé, et arracha la tête du malheureux avant qu’elle ne fut coupée (p.67, édition originale). Et encore, « La forêt avait déjà fait place à une grande réunions de huttes circulairement disposées autour d’une place. Au milieu croissait un arbre unique et Joe de s’écrier à sa vue : Eh bien ! S’il y a quatre mille ans que celui-là produit de pareilles fleurs, je ne lui en fais pas mon compliment. Et il montrait un sycomore gigantesque dont le tronc disparaissait en entier sous un amas d’ossements humains. Les fleurs dont parlaient Joe étaient des têtes fraîchement coupées, suspendues à des poignards fixés dans l’écorce. L’arbre de guerre des cannibales ! dit le docteur. Les Indiens enlèvent la peau du crâne. Les Africains la tête entière. Affaire de mode dit Joe. Mais déjà le village aux têtes sanglantes disparaissait à l’horizon ; un autre plus loin offrait un spectacle non moins repoussant ; des cadavres à demi dévorés, des squelettes tombant en poussière, des membres épars, çà et là… (p. 119) ».

Alors Verne était-il un anti-raciste avant l’heure ? Un serviteur de la bête immonde utilisant des non-mots pour dévoyer nos esprits ? Ses livres mériteraient-ils d’être brûlés ou réécrits ? comme on re-sonorise les bandes de Tarzan et King Kong pour les rendre politiquement correctes.

En vérité, il n’appartient à personne de trancher le bien du mal dans l’œuvre de Verne. C’est parce qu’il a disposé d’une pleine liberté de penser et d’écrire que l’auteur a pu explorer toutes les visions de son temps et devenir visionnaire à son tour.

Pour conclure, je voudrais ajouter que si les visions de Verne sont inspirées par la raison scientifique, elles n’en débouchent pas moins sur d’étranges coïncidences. Comme si Verne ayant franchi le plus haut degré de lucidité en était devenu extralucide. C’est un fait étonnant que dans Autour de la Lune, l’auteur fasse partir sa capsule spatiale des Etats-Unis (à un moment où les Etats-Unis étaient loin d’être la première puissance industrielle). Précisément de Floride. Près du lieu de lancement de la mission Apollo XI. Une hypothèse qu’il avait déjà retenue dans De la terre à la Lune. C’est–à-dire dès 1864, alors que la Floride était une contrée sauvage, couverte de marécages et en proie à la guerre civile.

Le texte dit précisément : « Le président Barbicane aidé de l’ingénieur Murchison, fit choix d’un emplacement situé dans la Floride par 27°7’ de latitude nord et 5°7’ de longitude ouest. Ce fut en cet endroit qu’après des travaux merveilleux, la Colombiad fut coulée avec un plein succès. ».

Plus étrange encore, les dessins de Bayard et de Neuville, qui illustrent le texte, sont confondantes de ressemblance avec celles de la mission Apollo. On y voit l’amerrissage de la capsule dans des conditions identiques et même le défilé du triomphe.

Ce tissu de coïncidences, inexplicables du point de vue mathématique, m’a souvent laissé penser que nous ignorions tout de la nature du temps. Qu’il était peut-être donné à certains de voir, par quelque mécanisme inconnu, ce qui n’est pas encore mais sera nécessairement. Cela relève sans doute de la métaphysique, mais appelle à une conclusion très pratique : les voies de la connaissance sont nombreuses. Il faut laisser à tous la liberté de les explorer au risque de la véritable science.

Avis aux censeurs !

Alexandre Lignières

 

 

(Bastion n°88 de mars 2005)

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