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Démocratie ou particratie ?

Le professeur Alain Eraly avait déjà commis en 2002 un essai extrêmement intéressant : « Le pouvoir enchaîné. Etre ministre en Belgique ». (Editions Labor, ISBN : 2-8040-1676-5, 343 pages, 21 euros). Ce livre tente de théoriser les mécanismes du pouvoir politique en Belgique: la conquête du pouvoir, les stratégies de carrière, l’importance des liens personnels, les rapports de force entre ministres, les méandres de la décision, les réseaux d’influence et les dysfonctionnements qu’ils génèrent. Outre ses fonctions académiques (professeur de sociologie et de management public à l’ULB) l’auteur s’est fondé sur ses trois années d’expérience comme directeur de cabinet du ministre-président de la région bruxelloise Hervé Hasquin, complétées par le témoignage anonyme d'une soixantaine d'acteurs politiques. Dans cet ouvrage, il dresse un portrait détaché, mais sans fard, de la vie politique quotidienne, de ses dysfonctionnements, de l'âpreté des rapports, de la complexité des négociations, de l’influence des médias, de la lutte sourde et incessante qui se livre au sein des gouvernements, et des réseaux d’influence qui déterminent notre politique. Il décortique les contraintes auxquelles sont soumis les décideurs politiques et leurs conséquences sur leur mode de vie et leur personnalité.

Il remet cela, cette fois en collaboration avec le sénateur MR Alain Destexhe et l’avocat Eric Gillet. Résultat : un petit livre intitulé « Démocratie ou Particratie ? 120 propositions pour refonder le système belge ». (Editions Labor, la Noria, ISBN :2-8040-1850-4, 167 pages, 15 euros) Les auteurs y dénoncent successivement, dans une première partie, la politisation généralisée, les effets pervers des cabinets ministériels pléthoriques, le manque d’efficience de nos gouvernements, la bureaucratie aussi inefficace qu’omniprésente, les dérives de l’Etat de droit, la complexité institutionnelle, la gestion publique déficiente et l’absence d‘évaluation des politiques. Dans la seconde partie, ils évoquent le déficit démocratique des « partis démocratiques », la marginalisation des parlements, le problème du cumul des mandats, les inégalités entre élus, les dérives du financement des partis, les campagnes électorales inéquitables…

L’ouvrage a suscité des réactions très diverses : salué par certains comme un pas vers plus de démocratie – le livre ne se contente pas de critiquer, il avance 120 propositions concrètes pour remédier aux lacunes relevées –, il a été plutôt mal accueilli dans le landernau politique. Certains ont même accusé le sénateur Destexhe de « cracher dans la soupe » tandis que d’autres s‘interrogent sur son avenir politique. Question à laquelle l’ancien secrétaire général de Médecins Sans Frontières répond : « J'ai envie de vous retourner cette question qui implique que la démocratie belge serait encore plus malade que ce que nous avons écrit ! Si un parlementaire ne peut plus lancer un débat politique sans être menacé de mort politique, alors je crois vraiment que l'extrême droite a de beaux jours devant elle. » (LLB du 21/12/2003).

Personnellement, je crois que le diagnostic reste bien en dessous de la réalité. Et bien que ne partageant pas les options politiques d’Alain Destexhe, je ne peux que saluer sa démarche : elle est vraiment méritoire.

Je crains cependant que le livre ne soit un coup dans l’eau : le système belge est incapable de se réformer. D’une part parce que les hommes en place n’ont – pour la plupart – aucune volonté de changer les choses et s’accommodent parfaitement des dysfonctionnements actuels, dont ils tirent le plus grand profit. D’autre part parce que le mal est beaucoup plus profond qu’on ne le croit : il est systémique.

Les dérives vers la particratie ne sont pas un mal spécifiquement belge, mais le fait de l’ensemble des régimes parlementaires. Il suffit pour s’en convaincre de relire ce classique de la science politique « les partis politiques » de Robert Michels dont les prédictions, antérieures à la première guerre mondiale, se sont réalisées avec une surprenante exactitude. Il évoquait déjà « la loi d’airain de l’oligarchie ».

Le livre de Robert Michels, paru à la veille de la première guerre mondiale, demeure un classique de la littérature politique. Pour Robert Michels, les partis politiques, nés de l’instauration de la démocratie, conçus comme des instruments privilégiés de son développement, deviennent inéluctablement, même les plus démocratiques d’entre eux, des organisations oligarchiques.

Cette analyse descriptive devait conduire son auteur à constater que les véritables causes d’une évolution aussi générale tenaient à la nature des choses telle que les fait l’organisation sociale.

Mais l’interrogation fondamentale, sous-jacente à tout cet ouvrage, reste plus actuelle qu’elle ne le fut jamais: la démocratie est-elle viable?

La question la plus pertinente est dès lors : « pourquoi la dérive particratique a-t-elle atteint en Belgique un niveau inégalé ailleurs – sauf peut-être en Autriche – ? ». Il n’y a en effet probablement aucun pays civilisé où l’on a atteint un tel degré de lotissement de l’Etat. Nous ne pouvons fournir ici une réponse satisfaisante, le problème étant extrêmement complexe.

Quant aux critiques du livre, il faut d’abord relever les habituels poncifs concernant les partis « liberticides » et quelques incantations à la pensée xénophile auquel tout auteur se doit actuellement de sacrifier, surtout s’il sort des sentiers battus… Il est pourtant notoire qu’une société multiculturelle est un obstacle majeur au fonctionnement d’une véritable démocratie.

Nous reprochons aussi aux auteurs d’accepter la complexité institutionnelle belge comme inévitable. Or selon nous, cette complexité est le résultat d’un bricolage institutionnel issu d’une série de négociations successives provoquées par des modifications de rapport de force et la conjoncture politique. Les institutions belges résultent de compromis boiteux successifs et non d’un plan d’ensemble un tant soit peu réfléchi. Bien mieux, les diverses réformes n’ont souvent pas pu être testées que la suivante était déjà sur les rails.

Dans un système de suffrage proportionnel à plusieurs niveaux de pouvoir, les partis d’opposition qui ont l’ambition de gouverner peuvent difficilement attaquer ceux qui occupent le pouvoir. D’une part, ceux qui sont dans l’opposition aujourd’hui sont susceptibles d’occuper le pouvoir demain dans une coalition avec l’un des partis actuellement au pouvoir. C’est dire que l’opposition d’aujourd’hui – candidate au pouvoir demain – peut difficilement attaquer le pouvoir autrement qu’à fleuret moucheté : toute attaque trop dure risque de rendre une négociation future et donc un retour au pouvoir impossible.

D’autre part, comment attaquer franchement à un niveau de pouvoir ceux qui sont ses alliés à un autre niveau de pouvoir sans risquer de créer un détestable climat de collaboration. Dans le système belge, il y a d’une part les partis de gouvernement (qui occupent le pouvoir ou sont susceptibles de l’occuper) et d’autre part la véritable opposition qui n’est pas candidate au pouvoir, ou en tout cas pas en alliance avec ses adversaires. Il n’y a donc que la véritable opposition qui puisse contrôler réellement ceux qui occupent le pouvoir.

Toujours à propos du contrôle parlementaire, il nous semble étonnant que les auteurs n’aient pas abordé l’incompatibilité fonctionnelle relevée par Friedrich von Hayek entre la fonction de contrôle et la fonction législative. Cette incompatibilité est à l’origine du renversement de la prééminence du législatif sur l’exécutif.

Autre critique : l’ouvrage n’aborde aucunement le problème du déficit démocratique des organisations supra-nationales dont la Belgique fait partie et qui prennent une place de plus en plus importante dans les décisions politiques et les législations auxquelles nous sommes soumis.

Quant à la forme, il n’était pas possible en moins de 200 pages d’être très didactique : le livre s’adresse donc à ceux qui ont déjà une bonne connaissance du système belge et de la politique. Assez aride, on n’y trouve guère d’anecdotes et aucun humour : c’est un livre de type académique.

Est-ce dire que ce livre n’est pas bon ? Non, au contraire! D’abord, il a l’immense mérite de dénoncer de manière méthodique un problème majeur de fonctionnement démocratique que beaucoup de belges devinaient. Il en décrit les dysfonctionnements de manière lucide et précise. Ensuite, il propose 120 solutions. Si certaines sont, selon nous, des emplâtres sur une jambe de bois en ce qu’elles ne s’attaquent pas au fond du problème, la plupart sont de nature à améliorer considérablement le fonctionnement de nos institutions. Nous épinglerons au passage la proposition de voter au scrutin secret au sein des parlements, ce à quoi les partis traditionnels, interrogés par La Libre Belgique, s’opposent bien entendu unanimement.

Comme le souligne Alain Destexhe dans La Libre Belgique du 22 décembre : « La volonté d’ouvrir le débat n’existe pas ». « La politisation continue, alors que personne ne remet en cause notre diagnostic ».

Faut-il en conclure qu’il n’y a pas d’espoir de changement ? Nous ne sombrerons pas dans un tel pessimisme.

D’une part, les dérives du système vont amener ce dernier tôt ou tard au bord de l’implosion. Quand les dysfonctionnements deviennent tels qu’un système se bloque, soit celui-ci s’effondre et disparaît, soit, on trouve une issue à la crise par une remise en cause fondamentale. Il faut craindre cependant qu’en cas de révolution, ce ne soient les « jeunes » qui fassent la loi : comme l’avait déjà découvert Gaston Bouthoul, « on ne fait pas de révolution avec des vieux et des bourgeois » !

D’autre part, la menace d’un véritable parti d’opposition peut contraindre ceux qui monopolisent le pouvoir à changer de politique, sous peine de perdre une part de plus en plus grande de leur électorat. C’est le rôle qu’ambitionne de jouer le FNB.

Il n’empêche que ce livre confirme ce qui est depuis longtemps notre diagnostic. Plus nombreux et plus prestigieux sont ceux qui diffuseront le message, plus il y a de chances que les choses changeront. Et telle est notre seule ambition.

François-Xavier ROBERT

Démocratie ou particratie, selon Maurice Duverger...

(Bastion n°77 de janvier 2004)

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