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Orwell et Huxley

  Par Charles Magne

 

            Lorsqu’on essaye d’approcher Orwell par ses critiques, on constate qu’il est, souvent, opposé à Huxley. Plus précisément, on oppose 1984 au Meilleur des mondes, en soutenant que l’histoire a donné raison à Huxley.

            Comme on le verra, cette polémique n’est pas innocente. Elle repose sur un parti pris idéologique. La controverse a d’ailleurs été alimentée par Huxley lui-même. Dans le Retour au meilleur des monde, – un essai analytique de son précédent roman -, Huxley compare la force de prédiction de son œuvre avec celle d’Orwell.

            Il écrit : Dans l'ambiance de 1948, 1984 paraissait effroyablement convaincant. Mais après tout, les tyrans sont mortels et les circonstances changent. L'évolution récente en Russie, les derniers progrès dans les sciences et la technologie ont retiré une part de sa macabre vraisemblance au livre d'Orwell…. La société décrite dans le roman d'Orwell est continuellement en état de guerre, aussi le but de ses dirigeants est-il d'abord, bien entendu, d'exercer le pouvoir, générateur de grisantes délices, et ensuite de maintenir leurs sujets dans cet état de tension croissante… en faisant croisade contre la sexualité (…)  [La société]  qui est décrite dans Le Meilleur des Mondes est une société mondiale dans laquelle la guerre a été éliminée et où le premier but des dirigeants est d'empêcher à tout prix leurs sujets de créer; des désordres. Ils y parviennent (entre autres méthodes) par la légalisation d'un degré de liberté sexuelle (rendu possible par l'abolition de la famille) qui garantit pratiquement les populations de toute forme de tension émotive destructrice (ou créatrice). Dans 1984, l'appétit de puissance se satisfait en infligeant la souffrance; dans Le Meilleur des Mondes en infligeant un plaisir à peine moins humiliant. »

            De ce point de vue, l’histoire semble avoir, effectivement, donné raison à Huxley. Sous les apparences d’une pseudo-libération sexuelle, on a détruit les familles. On a asservi les individus par le plaisir et les vices, dans le but de les détourner de la connaissance et du débat public. En cela, nous serons d’accord avec Huxley, lorsqu’il cite Jefferson :  « Si une nation compte être ignorante et libre, elle compte sur ce qui n'a jamais été et ne sera jamais. ».

            Toutefois, il serait injuste de soutenir qu’Orwell n’avait pas aperçu les possibilités offertes par le principe de plaisir dans la manipulation des foules. Dans 1984, il écrit : « Il existait toute une suite de départements spéciaux qui s’occupaient pour les prolétaires de (…) délassement. Là on produisait des (…) films juteux de sexualité. Il y avait même une sous-section entière – appelée en novlangue, Pornosex – occupée à produire le genre le plus bas de pornographie. Cela s’expédiait en paquets scellés qu’aucun membre du Parti, à part ceux qui y travaillaient, n’avaient le droit de regarder. »

            Comme on l’observe, on ne peut se contenter d’une lecture superficielle d’Orwell. Il faut le lire entre les lignes pour découvrir les principes de sa sociologie. Dans un article précédent (Bastion n° 57, janvier 2002), je les avais mis en exergue. Il y en a quatre principaux : la concentration des élites, l’abolition du passé, la manipulation des masses et la perversion du langage. Or, ces quatre principes  éclairent la manière dont notre société fonctionne et ses dérives totalitaires.

            Pour sa part, Huxley n’avait pas perçu, aussi nettement, que la réécriture du passé serait l’un des traits fondamentaux du totalitarisme européen de type post-soviétique. Il est vrai que, dans son système, le conditionnement des individus se fait dès la naissance par manipulation chimico-génétique et par endoctrinement sous hypnose - l’hypnopédie            Ces techniques n’étant pas, encore, disponibles nos gouvernants doivent se contenter des méthodes classiques de contrôle par la désinformation et l’abrutissement collectif.

            Ces méthodes se font, comme l’avait prévu Orwell, de plus en plus répressives. Elles comprennent tout un panel de sanctions allant de la perte de l’emploi (lorsqu’il est public) à la confiscation de la propriété (sous la forme d’amendes exorbitantes), voire à l’emprisonnement.

            Il n’y manque que la torture. Mais, au rythme où les choses avancent, la question ne tardera plus à être, à nouveau, posée aux criminels de la pensée. En outre, le système n’a pas besoin d’avoir recours directement à la torture pour faire régner la terreur physique. Il lui suffit d’exciter la violence de ses nervis gauchistes, contre tel ou tel dissident, pour le dissuader d’aller plus loin.    

            En ce sens, nous vivons bien plus dans le monde décrit par Orwell que dans celui d’Huxley, même si les projections techniques de ce dernier sont plus justes.

            Néanmoins, la différence entre Huxley et Orwell n’est pas si grande qu’on veut nous le faire croire. Dans Le meilleur des mondes, Huxley aborde plusieurs thèmes communs à Orwell. Par exemple, au sujet de l’abolition du passé, il écrit : « Le Directeur s’adossa sur sa chaise en fronçant les sourcils. Il y a combien de temps de cela ? fit-il en parlant à lui même, plutôt qu’à Bernard. Vingt ans, je suppose. Vingt-cinq, plutôt. Je devais avoir votre âge… Bernard se sentit extrêmement gêné. Un homme aussi respectueux des conventions, aussi scrupuleusement correct, aller commettre un manquement aussi grossier à l’étiquette ! Cela lui donnait l’envie de se cacher la figure, de quitter la pièce en courant. Non pas que, personnellement, il trouvât quelque chose d’intrinsèquement répréhensible dans le fait qu’on parlât du passé lointain ; c’était là un des préjugés hypnopédiques dont (s’imaginait-il) il s’était débarrassé. Ce qui l’intimidait, c’était qu’il savait que le directeur désapprouvait cela, que la désapprouvant, il avait été néanmoins entraîné à faire la chose défendue [parler du passé, ndr]. ».            Plus loin dans le récit, Huxley ajoute que tous les monuments des civilisations passées ont été abattus, la littérature brûlée et les musées détruits.

            On notera que la tension du récit du Meilleur des mondes est entretenue  parce que le héros, Bernard Marx, n’est pas conforme. Il enfreint les règles non-écrites de la société dans laquelle il évolue. Exactement comme Winston dans 1984. Cela lui vaut plusieurs rappels à l’ordre qui sont autant d’occasions de disserter sur le contrôle des élites : « M. Marx je ne suis pas du tout satisfait des rapports que je reçois sur vous […] Il faut que mes collaborateurs soient au-dessus de tout soupçon, et tout particulièrement ceux des castes supérieures. Les Alphas sont conditionnés de telle sorte qu’ils ne sont pas obligatoirement infantiles dans leur conduite émotive. Mais c’est là une raison de plus pour qu’ils fassent tout spécialement les efforts voulus pour se conformer à la normale. Il est de leur devoir d’être infantiles […] Ainsi donc M. Marx, je vous avertis loyalement – la voix du directeur était vibrante d’une indignation qui était à présent devenue entièrement vertueuse et impersonnelle, qui était l’expression de la désapprobation de la Société même – S’il me revient de nouveau que vous avez manqué… aux convenances… je demanderai votre transfert à un sous-centre, de préférence en Islande. »

            La ressemblance entre cette scène est ce qui se passe dans notre société est frappante. Elle pourrait se dérouler dans n’importe quelle université ou organe de presse, où quelque esprit hétérodoxe aurait l’intention de traiter d’un sujet tabou. Quant à l’infantilisme, il est peu de dire qu’il est encouragé par tous les moyens. Sans doute, parce qu’il s’oppose à cette sagesse qui remettrait en cause les fondements de la polytyrannie actuelle.

            Huxley l’affirme : dans une société totalitaire, le non-respect de l’orthodoxie est pire qu’un crime de sang : « Le non respect de l’orthodoxie menace bien autre chose que la vie d’un simple individu : il frappe la Société même. » Aussi, n’est-il pas étonnant de voir, dans le même temps, nos médias condamner de toute leur force les opinions non-orthodoxes et disculper les criminels de toute sorte.

            A propos de l’abrutissement des masses, Huxley nous dépeint un univers que nous connaissons bien : celui du bruit incessant, des rapports impersonnels, des drogues qui épargnent la peine de penser par soi-même, de la soumission aux modes les plus futiles.

            Cette identité de thèmes avec Orwell renvoie à la question que nous posions au début de cet article de savoir pourquoi on oppose les deux auteurs ? La réponse tient, au fond, à leur grille de lecture respective. Le fait est qu’Orwell, bien que socialiste à l’origine, s’est livré à une critique rationnelle [donc de droite] des utopies de gauche. Rien de tel chez Huxley qui situe son récit dans la tradition anti-techniciste. Le Meilleur des mondes n’est ni stalinien, ni fasciste il est celui de l’industrie. Dans la pensée d’Huxley les techniques déterminent une structure oppressive du pouvoir. Or, cette idée est héritée, dans ses grandes lignes, de la sociologie marxiste. C’est ce qui la rend conforme aux yeux de l’intelligentsia qui nous manipule. Par ce biais, cette dernière peut encore critiquer le capitalisme industriel occidental et récupérer Huxley à son profit.

            L’article de l’ultra-gauchiste Ignacio Ramonet, paru dans le Monde diplomatique d’octobre 2000 – Pitié, pour la condition humaine – est, à ce sujet, très révélateur. Il tire de sa lecture du Meilleur des mondes que : « L’américanisation de la planète est achevée, tout y est standardisé. » et aboutit à une conclusion politiquement très correcte : « Le Meilleur des mondes nous aide à mieux comprendre la portée des risques et des dangers qui s’ouvrent devant nous quand, de nouveau, de tous côtés des ‘’avancées scientifiques et techniques’’ nous confrontent à des défis écologiques qui mettent en péril l’avenir de notre planète et celui de l’espèce humaine. »

            Une telle conclusion n’aurait pas été possible au travers de 1984. Car, Orwell  donne la priorité aux institutions politiques sur l’infrastructure scientifique. Ce n’est pas la science qui pervertit la démocratie, c’est l’absence d’état de droit qui ouvre la voie à un usage tyrannique des techniques. C’est pour cette raison, que nous le défendons contre tous ceux qui y portent atteinte, car il est le seul et l’unique moyen de garantir la liberté individuelle et de maîtriser le progrès. 

Voir également à propos de George Orwell:

1. Relire Orwell

2. Historiquement correct

3. La ferme des aminaux

 

 

(Bastion n°76 de décembre 2003)

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